Militer, verbe criminalisé de la société des engagés
Sans doute est-ce l’un des faits politiques majeurs de notre époque : le militantisme est à la peine socialement car, de nos jours, tout le monde est engagé. C’est peut-être même l’événement contemporain le plus considérable, parce que le plus violemment paradoxal, que nos sociétés endurent.

Qui ne voit pas désormais qu’à chaque instant, en tout lieu, chacun d’entre nous s’engage ? Car chacun d’entre nous est déjà engagé. Ou pire que tout : se trouve sur le point de s’engager. Inéluctable, l’engagement peut même être considéré comme la condition absolue de l’homme contemporain. Personne ne saurait y échapper tant l’engagement sature l’espace social le plus quotidien comme l’espace privé le plus férocement intime. En un mot : nous vivons désormais dans la société des engagés. Du débat public jusqu’au caddie de supermarché en passant par la littérature d’un Nicolas Mathieu dans Connemara s’est déployée une véritable culture de l’engagement. Mais ce mot même d’« engagement » a-t-il encore un sens ? Est-ce toujours ce terme si flamboyant de vigueur et de courage que Sartre déployait quand, en 1947, au juste sortir de la guerre et de la Résistance, il théorisait la littérature engagée ? Rien n’est moins sûr.
De fait, tel est le propos que je tiens dans Militer : verbe sale de l’époque. Car les exemples ne manquent pas qui, sans répit, enjoignent chacune ou chacun à accomplir ce qui s’offre comme un accomplissement citoyen en soi – dans une inflation folle de la question de la citoyenneté même.
Ainsi des murs du métro parisien sur lesquels, au cœur du mois d’avril 2024, d’immenses affiches annoncent le Westfield Good Festival qui, dans les centres commerciaux de ladite chaîne Westfield, proposera pour toute pause shopping des « ateliers autour de la mode responsable et de la beauté engagée ». En choisissant de « donner une seconde vie à leurs sneakers grâce à la customisation » ou encore d’apprendre à réparer leur vélo « pour une meilleure durabilité », les clie