Fascisation et résistances populaires
« Quel langage vais-je vous parler ? […] comment rendre sensible le mal qu’un mot décrète, qu’un mot corrige ? »
— Saint-Just[1]
L’irrésistible poussée des régimes nationalistes et populistes est un fait. Pire : nous assistons de jour en jour, dans la sidération, à un processus de fascisation. On en trouve l’expression un peu partout dans le monde, à des degrés divers, des États-Unis à l’Inde, de la Russie à la Turquie et à l’Autriche, de la Hongrie et de l’Italie aux Philippines, du Brésil et de l’Argentine à la Hollande et en France bien sûr. Les mêmes causes engendreraient-elles le même effet d’un backlash à l’ère globale, en réaction à la période progressive amorcée dans les années 1960 ? Mais, surtout, que faut-il entendre exactement par « fascisation » des sociétés démocratiques-capitalistes ? Un fascisme d’État, le stade ultime d’un régime néolibéral autoritaire, des micro-fascismes, ou encore des moments fascistes ? C’est toute la question.
Elle est aussi celle de savoir comment faire face à ce processus. Résister apparaît comme un maître mot. Des équivalents et dérivés circulent dans les discours et les pratiques (dissidence, désertion, autodéfense populaire, désir de communisme) qui se transnationalisent. On observe une prolifération de mobilisations collectives, foyers de luttes et micro-résistances populaires un peu partout. Seulement voilà, disséminées tant à l’échelon local qu’international, ces mobilisations sont en partie invisibles, pas assez documentées, écrasées par les empires médiatiques et leur appareil de propagande inédit, sous haute surveillance et réprimées.
Certes, prendre en compte la « réalité sociale » de ces résistances diffuses ne permet en rien de dissiper le sentiment d’impuissance dominant. En revanche, cela permet de sortir des idéologies du moment (« binarisme » ou « campisme », « complotisme ») et de saisir la reconfiguration inédite qui s’opère sous nos yeux entre un néolibéralisme effréné, le brouillage entre droite et extrême droite et les résistances populaires qu’ils suscitent. L’enjeu du présent texte, devenu long, n’est autre que d’énoncer quelques propositions ouvertes sur cet inquiétant processus.
Guerre à Gaza, scènes de violences à Amsterdam
Commençons par un événement, lui aussi plus qu’effrayant, qui offre un double avantage : le décentrement géographique et une sorte de « signalement provisoire » du processus en cours. La scène se passe à Amsterdam, les 6 et 7 novembre 2024. Mais que s’est-il passé exactement ? À l’occasion d’une rencontre de football entre l’Ajax et le Maccabi de Tel Aviv, des supporteurs juifs ayant fait le voyage ont été pris en chasse par des groupes de jeunes hommes marocains d’Amsterdam avant d’être eux-mêmes agressés par les premiers, qui ont arraché de plusieurs immeubles des drapeaux palestiniens. Le soir du match, la synagogue portugaise commémore la nuit de Cristal de 1938 dans la capitale d’un pays où plus de cent mille Juifs ont été déportés. Des centaines de personnes s’y rendront, dont l’ambassadeur d’Israël Modi Ephraïm.
Les vidéos des violences provoquent l’horreur et l’indignation dans le monde entier – les mots « chasse aux Juifs » et « pogrom » sont mentionnés. À la suite de quoi le gouvernement israélien n’a pas manqué de détourner l’image pour y voir le geste du « terrorisme radical » qu’il combat. Pourquoi, malgré cela, personne n’a osé réveiller le Premier ministre Dick Schoof ?[2] Une équipe de recherche du journal néerlandais NRC – journal de qualité, comparable au Monde – a reconstitué le déroulement des événements dans un travail exemplaire[3].
Prévu depuis le tirage au sort en avril, le Coordinateur national de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité (Nationaal Coördinator Terrorismebestrijding en Veiligheid, NCTV) y voit un événement sportif banal dont la police anti-émeute est habituée à gérer les débordements. Malgré les signaux rassurants de l’Union des associations européennes de football (UEFA) et des agents de liaison de la police, le triangle (la maire, le chef de la police et le procureur général) a déjà décidé : « Nous allons traiter ce match comme s’il s’agissait d’un match à haut risque. » Les forces anti-émeutes sont mobilisées afin d’éviter des affrontements comme ceux engendrés par les supporteurs israéliens lors d’un match de l’Olympiakos d’Athènes en mars 2024, afin que la situation reste sous contrôle.
Dans les quartiers populaires, on fait appel aux animateurs de jeunesse, entraîneurs de rue, responsables de district, policiers, personnalités clés des communautés. Ils seront les yeux et les oreilles de la rue. Que voient-ils ? Qu’entendent-ils ? Que se passe-t-il dans leurs quartiers ? Il reviendra aux responsables de la sécurité de transformer toutes ces informations en un récit qui finira sur le bureau de la maire. Problème : après le tirage au sort de la rencontre, aucun signal indiquant que « les gens [y verraient] une occasion d’exprimer leur colère et leur tristesse à propos de la guerre à Gaza » n’a été émis.
La tension a pourtant franchi un nouveau seuil après l’attaque meurtrière du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et cette guerre plus meurtrière encore[4]. Lors de la nuit du 6 novembre, « les chasses aux Juifs » contre les fans du Maccabi (dont deux mille cinq cents ont fait le voyage), avec pour slogan : « Libérez la Palestine ! », se multiplient, ainsi que les ratonnades contre les musulmans ; des affrontements sporadiques éclatent entre des groupes très mobiles. Les unités de police sont débordées, arrivant toujours trop tard sur place.
Le jour du match, le noyau dur des supporteurs, les fanatiques du Maccabi, insiste pour faire une « promenade des fans » de la place du Dam à la gare centrale. La police demande au club de s’abstenir, jugeant pas si diplomatique cette bruyante démonstration de fierté israélienne dans une ville où, là comme dans d’autres métropoles, la colère et le désespoir impuissants à propos de Gaza s’accumulent. Et pourtant, elle ne passe pas inaperçue cette foule jaune-bleu qui parcourt lentement, avec de nombreux feux d’artifice, détonations et chants – refrain : « Fuck the Arabs » –, les sept cents mètres qui la séparent de la station de métro.
Juste avant le match, voilà ce qu’il se passe : « Ici, à environ un kilomètre de l’Arena, il y a une manifestation contre l’arrivée du club de football israélien. Au bout d’un moment, des hommes vêtus de noir et portant des masques commencent à lancer des bombes pyrotechniques sur la place. Ils essaient de se diriger vers l’Arène. D’autre part, les hooligans de l’Ajax tentent d’atteindre les manifestants. La police anti-émeute mène des charges des deux côtés, parfois avec des chiens. “Palestine libre”, ils crient : “Pas de justice, pas de paix, j’emmerde la police”, “Allahu akbar”. Et : “Sioniste du cancer, Juifs du cancer !” Avant même le coup d’envoi du match, la plupart des garçons ont été emportés. Dans l’enceinte du stade, lorsque les fans de l’Ajax victorieuse commencent à chanter qu’ils sont des “super Juifs”, les fans du Maccabi applaudissent et chantent avec eux. »
La nuit après le match, l’ambiance n’est plus du tout la même : « Sur la Leidseplein et dans la Hobbemastraat, on demande aux gens de quelle nationalité ils sont, et s’ils sont juifs. […] Autour du Damrak, c’est le chaos : les fans du Maccabi sont pourchassés par des groupes de jeunes hommes. […] De loin, le jeune YouTubeur Bender filme le groupe. Ses images d’Israéliens s’armant et remontant le Damrak seront plus tard citées par certains comme preuve que ce sont les Israéliens qui ont incité à la violence. Mais cela fait déjà plus de vingt minutes que les supporters du Maccabi ont été agressés sur le Damrak. […]
« À partir de ce moment, Femke Halsema (maire de la Ville) reçoit un flot d’appels téléphoniques, de messages vocaux et d’applications de la part d’Ephraïm (ambassadeur d’Israël) et de plusieurs Juifs d’Amsterdam qui ont le numéro privé de la maire. Ce sont autant de signaux d’alarme sur des combats de rue, des sièges d’hôtels, des disparitions et même des prises d’otages. Sur une chaîne de l’application Maccabi, à une heure moins dix et demie, on parle d’une “embuscade antisémite planifiée”. Et : “Cela pourrait se terminer par un désastre.” »
Depuis New York, Danny Danon, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, a tweeté qu’il avait reçu des informations faisant état de « persécutions et de violences graves contre les Israéliens et les Juifs dans les rues des Pays-Bas. Il s’agit d’un pogrom qui se déroule actuellement en Europe en 2024. C’est le vrai visage des collaborateurs du terrorisme radical que nous combattons. Le monde occidental doit se réveiller maintenant ! »
Au cours de la nuit, alors que la ville redevient calme, la tension diplomatique monte en puissance. Le gouvernement Netanyahou fait affréter deux avions – dont un militaire – pour la Hollande afin de rapatrier les supporteurs. La maire d’Amsterdam fera remarquer plus tard que l’image que Netanyahou a dépeinte contraste fortement avec ce qu’elle a entendu. « Quand la poussière sera retombée, on verra que les nouvelles les plus lourdes n’avaient aucun fondement factuel », notent les rédacteurs de l’enquête. Mais les acteurs hollandais en sont venus à la conclusion « qu’il n’est ni sage ni utile de contredire le cadre de Netanyahou – c’est l’antisémitisme, c’est les “Arabes”, c’est l’Intifada mondiale. Les faits sont trop proches du cadre pour cela ». Le cadre, donc.
Le cynisme politique en acte
Que personne n’ait décidé de réveiller le Premier ministre lors de la première nuit est tout sauf anecdotique ; cela en dit long sur le cynisme du pouvoir. Les éléments de langage étaient prêts à l’usage. Fondateur et leader du parti d’extrême droite Pour la liberté, créé en 2006, auquel a échappé le poste de Premier ministre, Geert Wilders tweete, en anglais, que la « racaille multiculturelle » doit être « arrêtée et expulsée ». La vice-Première ministre, Mona Keijzer (BBB), avait déjà déclaré que « des parties de la communauté islamique d’Amsterdam » étaient à blâmer. De son côté, dans l’un des jugements sur les émeutes, le tribunal de district d’Amsterdam a explicitement réprimandé les politiciens qui se sont immiscés dans les affaires pénales en cours. Il en va du principe de séparation des pouvoirs au sein d’une démocratie.
La désinformation sur les médias et les réseaux sociaux est aussi caractéristique. Le déroulé des événements montre bien que les forces en présence étaient diverses (supporteurs des deux équipes, hooligans, chauffeurs de taxi, groupes autonomes, etc.). Contrairement à ce que les politiciens de La Haye avaient dit immédiatement après les violences, tous les suspects ne se sont pas avérés, au cours du procès, être musulmans. Tous n’étaient pas d’origine arabe et le fait qu’ils aient tous réellement eu recours à la violence n’était pas clairement établi. Quant aux avocats, ils se sont interrogés à haute voix dans la salle d’audience : « Où sont les supporteurs du Maccabi qui ont commis des violences ? »
Les émotions suscitées par la guerre à Gaza sont-elles la cause directe de cette violence, ou bien fait-elle écran au racisme et aux discriminations religieuses subis par une communauté musulmane réduite à de la « racaille multiculturelle » par l’extrême droite ? En tout cas, la droite extrême s’est emparée de ces événements et en a tiré profit pour critiquer, condamner, exclure tous les Marocains immigrés[5]. Un discours de préférence raciale et de haine ailleurs à l’œuvre qui détourne les émotions vers des « ennemis symétriques ».
Si les Juifs d’Amsterdam ne se sentent pas en sécurité depuis des années et que certains envisagent d’émigrer, de l’autre côté les musulmans d’Amsterdam sont également occupés par la guerre jour et nuit, le débat houleux sur la guerre alimente l’idée qu’ils n’appartiennent jamais pleinement à la société néerlandaise et certains d’entre eux envisagent également d’émigrer. C’est un mécanisme circulaire : « le gouvernement le plus à droite de l’histoire des Pays-Bas », selon NRC, attise les braises et nourrit un climat délétère par des déclarations incendiaires qui font scandale et le fragilisent en retour.
Fascisme et fascisation
Nombre d’observateurs comparent notre période à celle des années 1930, sur fond de crise économique du capitalisme avancé, de montée en puissance des régimes autoritaires et de courants xénophobes multipliant les ennemis de l’intérieur. On se gardera bien de projeter le processus de fascisation en cours à l’avènement d’un « État total » en Allemagne et en Italie. La France, l’Italie et bien sûr le Chili ont connu dans les années 1970 des épisodes fascistes marquant l’entrée dans un cycle néolibéral affirmé sans alternative. La question du fascisme a beaucoup fait débat dans cette période[6]. « Cette génération n’a pas vu surgir la révolution mais la contre-révolution, et le fascisme lui est apparu comme le danger du présent, et non le spectre du passé », écrira ainsi Maria Antonietta Macciocchi[7].
De leur côté, Gilles Deleuze et Félix Guattari se sont efforcés, au même moment, de repenser cette question à la suite de Reich et sa Psychologie de masse du fascisme (1933). « Comme dit Reich, l’étonnant n’est pas que des gens volent, que d’autres fassent grève, mais plutôt que les affamés ne volent pas toujours et que les exploités ne fassent pas toujours grève : pourquoi des hommes supportent depuis des siècles l’exploitation, l’humiliation, l’esclavage, au point de les vouloir non seulement pour les autres mais pour eux-mêmes[8] ? » Tel est bien le problème fondamental de la philosophie politique depuis La Boétie et Spinoza[9]. Pourtant, ce ne seraient pas la méconnaissance ou l’illusion des masses qui expliqueraient le fascisme, comme l’affirme la vulgate marxiste, ni l’irrationalité du « subjectif », de « l’inhibé », comme le pensait Reich, mais « la commune mesure ou la coextension du champ social et du désir », selon nos deux philosophes.
Qu’est-ce que cela signifie ? Que le fascisme est transversal à la production sociale et à la production désirante en ceci qu’il se loge dans les plis les plus intimes de nos corps ; que sa réversion réside dans les liens de la réalité et du désir qui possède une force révolutionnaire.
Michel Foucault ne s’y était d’ailleurs pas trompé, dans sa préface à l’édition américaine de L’Anti-Œdipe[10], en y lisant son programme fondamental, non dénué d’humour et pourtant du plus grand sérieux. « Comment faire pour ne pas devenir fasciste même quand (surtout quand) on croit être un militant révolutionnaire ? Comment débarrasser nos discours et nos actes, nos cœurs et nos plaisirs du fascisme ? Comment débusquer le fascisme qui s’est incrusté dans notre comportement ? » C’est bien ce qui avait conduit Deleuze et Guattari à proposer le terme de micro-fascisme comme le pendant d’une micro-politique du désir. L’enjeu est parfaitement formulé par Foucault : « Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante ; faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale ; n’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. »
On objectera que ses propos sont datés, tributaires du contexte des années 1970 hantées par la fascisation du pouvoir gaulliste, les spectres de 1968, du coup d’État au Chili du général Pinochet et des attentats meurtriers de l’extrême droite dans une Italie en pleine ébullition. Mais l’objection est elle-même discutable. Cela serait oublier le climat de censure, de violence sociale et syndicale dans les usines, les « flics fascistes », le fascisme étant l’autre nom de « la guerre des classes » : la riposte aux ripostes populaires[11]. Peut-être n’a-t-on pas assez pris au sérieux l’avertissement de nos philosophes.
Car la période suivante aura donné à voir des formes diffuses de fascisme, insidieuses et tout aussi inquiétantes. Ainsi, Silvio Berlusconi aura été la figure d’un « fascisme édulcoré », selon l’expression du politiste Marc Lazar, non seulement en associant victorieusement les néofascistes de La Ligue du Nord (Lega Nord, LN) à Allez l’Italie (Forza Italia, FI) en 1994, 2001 et 2008, mais également par la promotion d’un grand récit réduisant le monde à une image, la réalité à une marchandise, les adversaires à des ennemis, les institutions à des entraves, les femmes à des objets sexuels, les lendemains qui chantent à l’enrichissement personnel. Tout un héritage capté en partie par Giorgia Meloni. À l’échelle planétaire, les autres visages ont été, bien plus encore, Jair Bolsonaro et Donald Trump. Leurs principaux points communs : le projet d’un effacement de l’altérité, la naturalisation des inégalités sociales et une dynamique faisant de la démocratie un signifiant vide.
Le cas du Brésil montre que le principal représentant de l’extrême droite a suscité nombre de débats dans son pays et l’étonnement dans le monde par ses discours grotesques, emplis de haine contre les minorités, les femmes, les indigènes, les LGBT, ses positions anti-écologiques et sa méconnaissance profonde des sujets abordés[12]. On a défini le « bolsonarisme » comme un schéma de pouvoir soutenu par les oligarchies ultraconservatrices et la bourgeoisie qui repose sur le spectacle d’une violence symbolique et discursive séduisant le plus grand nombre, l’institutionnalisation du machisme et du racisme, l’utilisation des technologies numériques en lien avec la télévision pour agir beaucoup plus rapidement et faire des fake news un marché rentable, la désinformation contrôlant le pays, sans oublier le rôle spécifique des églises et des pasteurs néopentecôtistes.
Comme le souligne la philosophe Marcia Tiburi, ce qu’elle appelle « technofascisme » ou « média-fascisme » passe par un travail de désubjectivation de masse, « une paranoïa administrée élevée à la forme d’un gouvernement en guerre contre les institutions », une « esthétique du terrorisme macho-capitaliste dans sa phase de crise ». Si juste et percutante soit cette analyse, on a néanmoins du mal à la suivre quand elle présuppose l’aliénation des masses par les manipulations du pouvoir, leur hypnose et extase.
Maintenant, comment ne pas voir l’homologie entre cet exemple typique et d’autres situations nationales ? On pense en particulier à la chute vertigineuse du sens du langage dans la classe politique et les médias dominants. Marcia Tiburi le formule parfaitement avec les accents d’un Walter Benjamin évoquant la chute du niveau de l’expérience : « Le cynisme n’interrompt pas seulement les formes linguistiques de la démocratie, mais il entrave la possibilité de tout ordre raisonnable de discours. Le dialogue devient impossible à de nombreux niveaux. Le cynisme est la mort du langage et, avec lui, la mort de la démocratie et même du politique. » Ainsi, par exemple, des mots tels que « social », « réforme », « laïcité » ont été vidés de leur sens, lessivés, retournés[13].
De Sarkozy à Macron, ce processus a été poussé très loin sur fond de politiques ultralibérales synonymes de casse sociale et de rupture avec une conception faisant de l’État le garant des rapports sociaux ouvert à la négociation avec les syndicats et la société civile. L’accumulation des « petites phrases » pleines de mépris de classe et de bêtise a été le symptôme de ce cynisme généralisé, suscitant jour après jour sidération et abjection.
D’une période l’autre, le réchauffement climatique a changé la donne et l’Europe est redevenue un champ de bataille. Selon l’activiste Raúl Sánchez Cedillo, un « régime de guerre » apparaît comme la réponse au « chaos éco-systémique » (catastrophe écologique, crise de l’hégémonie des États-Unis, court-circuit du droit international, refus du travail, révoltes des subalternes, etc.), faisant de celle-ci une finalité (et non un seul moyen).
Bien sûr, il y a la guerre lancée par Poutine en Ukraine depuis presque deux ans, dont l’horreur au quotidien révèle l’hypocrisie géopolitique et commerciale de l’Occident sous bonne garde des États-Unis. C’est que, là comme ailleurs, le régime de guerre implique aussi un formatage des subjectivités reposant sur une administration de la peur et de la terreur destinée à assurer une soudure sans faille. C’est la même logique qui prévaut lors de l’annonce de menaces terroristes – déjouées mais potentielles. Un tel formatage se joue également dans l’oscillation anxieuse entre narcissisme et paranoïa à travers les compensations et indignations virtuelles offertes par et sur les réseaux sociaux. La guerre (contre la démocratie, les pauvres, les migrants, les minorités ethno-raciales et sexuelles, les militants, mais aussi la rage des peuples) n’est donc pas qu’une métaphore[14].
La France en macronie
Ce qui est en jeu, ce n’est donc pas seulement un fascisme brutal ou édulcoré, mais l’émergence de ce que d’aucuns nomment un « post-fascisme » ou « fascisme libéral » – et que, pour ma part, je qualifie de moment fasciste.
En France, on ne le sait que trop depuis les années 1980, le Front national devenu Rassemblement national arbitre le jeu politique en faisant de la lutte contre les immigrations et de la préférence raciale son axe majeur tout en ayant adopté la fameuse « stratégie de normalisation », largement orchestrée par les chaînes et les journaux de désinformation continue de l’empire Bolloré, pivot de la tendance monopolistique de l’espace médiatique.
La différence avec le passé, c’est que les groupuscules d’extrême droite (le Groupe union défense, GUD ; Ordre nouveau) étaient ultraminoritaires, Jean-Marie Le Pen était un inconnu en politique – ou presque, député poujadiste qu’il était –, les scores électoraux de son parti et sa capacité à cadrer les débats publics, loin de ce qu’ils sont devenus. En un sens, nous sommes passés d’un micro-fascisme à un macro-fascisme à peine voilé, voire à un couplage inédit des deux. Outre le succès du RN et sa capacité à polariser le champ politique, ce sont les groupuscules identitaires et néonazis qui agissent à découvert, brutalisent leurs « ennemis », tuent des militants antifascistes, accèdent à des postes d’assistants parlementaires ; ce sont les différents courants de l’extrême droite 2.0 qui se combinent et se reconfigurent sur le numérique.
On a assisté à un double processus dont l’un a tendance à recouvrir l’autre. D’un côté, il y a eu cette étrange séquence électorale et postélectorale conduisant à l’hégémonie idéologique de l’extrême droite. Près de dix millions d’électeurs ont voté pour elle, ce n’est pas rien ! Évidemment, sa sociologie est beaucoup plus complexe que dans « les années Mitterrand ». Certes, le vote à l’extrême droite n’est ni tout à fait nouveau ni uniforme ; il agrège des milieux sociaux très hétérogènes animés par des motivations elles-mêmes diverses qui ne se limitent pas aux effets du déclassement social et de la mondialisation.
Les enquêtes de sociologie politique de terrain apportent de fortes nuances à la thèse d’une droitisation des classes populaires, sans la contredire pour autant[15]. De plus, on confond trop souvent droitisation et lepénisation. Enfin, et peut-être surtout, l’abstention demeure bien le « premier parti » dans ces groupes, dont de nombreux segments restent politisés à « gauche »[16]. La victoire surprise aux élections législatives du Nouveau Front populaire (NFP) en aura été l’illustration ; une surprise de courte durée, alors que le fameux « front républicain » a favorisé la droite classique pourtant en état de décomposition avancée. La nomination d’un Premier ministre et d’un gouvernement issus de ses rangs a constitué à nouveau un déni de démocratie. La suite de cette séquence a confirmé une porosité certes ancienne entre extrême droite et droite extrême, rendant caduque l’expression d’extrême centre un temps appliquée à la macronie. Le tout a conduit à la situation ingouvernable que l’on connaît.
Mais, d’un autre côté, on ne peut se contenter d’agiter les dangers du RN et d’ostraciser LFI de façon symétriquement inverse et particulièrement violente dès lors que la droite souhaite l’exclure de l’arc républicain et traite ses dirigeants de « nazis »… Le pli a été pris bien avant. C’est même une caractéristique de la fascisation que de se déployer de façon lente et imperceptible.
Depuis les années 2010, les dérives de l’exécutif ont été nombreuses sur fond d’une violence (institutionnelle, sociale, policière) et d’un racisme (anti-immigré, antimusulman, antijeune) systémiques : adoption de procédures d’exception sous couvert de lutte contre le « terrorisme » ; extension des fichés S à des centaines d’écologistes, de syndicalistes de la CGT et de FO, de Gilets jaunes et de personnes pour leur appartenance à « l’ultragauche », faisant alors l’objet de recherches « pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État » ; entraves à la liberté d’expression et de manifestations pendant et après les Gilets jaunes, par peur de la répression policière ; criminalisation de l’intention à l’égard des manifestations de solidarité avec les habitants de la bande de Gaza, soupçonnées d’antisémitisme ; attaques contre les chercheur·ses qui ne sauraient « expliquer l’inexplicable »[17] ; montée de l’islamophobie et de la peur du communautarisme devenu une déviance.
Lorsque, après la mort du jeune Nahel, tué à bout portant par un policier pour refus d’obtempérer, le 28 juin 2023, à Nanterre, et l’émeute qui a suivie[18], les syndicats de policiers Alliance et l’Union nationale des syndicats autonomes-Police (UNSA-Police) publient un communiqué ignoble souhaitant en finir avec les « indésirables », l’expression rappelle avec horreur les discours de Daladier en 1938 et le vote de la loi distinguant « Juifs français » et « Juifs étrangers » bien avant l’occupation des nazis. Ni plus, ni moins. Le cadrage policier de la politique a trouvé dans les gesticulations des anciens ministres de l’Intérieur, Christophe Castaner et Gérald Darmanin, ou encore du préfet de police de Paris, Didier Lallement, son incarnation nauséabonde, tout en suscitant l’indignation dans la société civile et à international face au seuil inédit atteint de « violences policières ».
Pour comprendre ce processus, il ne suffit pas d’invoquer les « dérives autoritaires » de l’État de droit – comme si celui-ci ne contenait pas en son sein le recours à des dispositions exceptionnelles qui deviennent après-coup la norme par la production législative ; pas plus qu’on ne peut se focaliser sur la seule extrême droite et la droite extrême. Encore une fois, la fascisation en cours est beaucoup plus diffuse et insidieuse.
Violence sociale et initiatives locales
Si l’on s’en tient à la situation française, le cadrage sur la sécurité et l’immigration comme finalités de la politique ne cesse de recouvrir l’accentuation des difficultés sociales de millions de personnes. L’augmentation de la part des ménages en dessous du seuil de pauvreté (près de huit millions), la multiplication des plans de licenciements dans les entreprises (deux cent cinquante annoncés en 2025, visant entre cent cinquante et deux cent mille salarié·es), la maltraitance institutionnelle et la souffrance au travail, la dégradation de la situation financière des retraité·es, les services publics en désuétude, à commencer par l’école et l’hôpital, les effets pervers du tout-numérique et la fracture qu’ils creusent depuis la pandémie, mais aussi l’explosion des charges locatives, le retard des programmes de construction des logements (sur les soixante-dix mille prévus en Île-de-France, trente mille ont été construits), souvent mal adaptés, tous ces indicateurs et situations bien connues des acteurs de terrain témoignent d’une situation critique. Les cahiers de doléances des Gilets jaunes avaient souligné la centralité des questions socio-économiques. « Fin du monde, fin du mois, même combat ! » Tel était l’un des slogans scandés dans les marches climat et les actes des Gilets jaunes, pourtant idéologiquement aux antipodes les unes des autres.
Dans ce contexte, le dernier mouvement social de 2023 contre la réforme des retraites a illustré la surdité de l’exécutif, son passage en force. Il aura aussi précipité bien des désillusions. Tout se passe comme si nous étions entrés dans un moment de désengagement militant, renforcé par l’état de sidération souligné plus haut, avec le sentiment d’un burn-out généralisé. Certes, l’actualité internationale est l’occasion d’un sursaut et de mobilisations collectives : génocide[19] dans les territoires palestiniens occupés par l’armée israélienne, destruction méthodique et inhumaine de Gaza ; chute du régime sanguinaire de Bachar al-Assad en Syrie ; révoltes en Nouvelle-Calédonie, en Géorgie, etc.
En France, les agriculteurs de la puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les coordinations plus indépendantes ont amorcé des blocages vite disparus dès que souhaité. L’annonce répétée d’une reprise imminente de l’occupation des ronds-points des Gilets jaunes, les mots d’ordre d’un mouvement social dans la fonction publique, les initiatives des Soulèvements de la terre et, plus généralement, des mouvements écologistes renforcent sinon le pessimisme ambiant, du moins le constat que nous sommes dans un moment défensif, et non offensif. Si nombreux soient-ils dans la société française, les soulèvements populaires ne produisent pas de bouleversements structurels. Les juges hollandais peuvent dénoncer le conflit d’influence des politiques, rien ne change. Les formations politiques progressistes, la « gauche » ne semblent pas en mesure de fixer un cap, sans inimitié. Il s’agit donc de résister, de se défendre collectivement[20].
Et, de fait, ça bouge partout à l’échelon local ! Revoilà le paradoxe. Là encore, il faudrait faire une enquête, un état des lieux pour s’en convaincre. Prenons le cas emblématique de la Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France. Divers collectifs et comités locaux sont mobilisés sur des questions politiques générales (précarité, racisme, discrimination, violences policières) en étroite articulation avec la situation désastreuse dans les services publics, les établissements scolaires démunis et les hôpitaux saturés, face aux problèmes des sans-papiers, des mal-logés et des expulsés. Un groupe d’étudiant·es engagé·es ont bloqué plusieurs fois l’université Paris VIII, notamment le 13 novembre dernier, lors du match France-Israël, en distribuant un tract : « Refusons le gala des génocidaires », ou encore le 12 décembre, suite à des incidents avec un service de sécurité privé embauché par la présidence.
Le non-renouvellement des titres de séjour par les préfectures et sous-préfectures, en dépit des dénégations officielles, produit des effets catastrophiques en chaîne : plus de titre de séjour, plus d’emploi, plus de quoi payer la cantine des enfants, menace d’expulsion du logement, mise à la rue de familles entières avec des enfants en bas âge dormant dans la rue. On voit bien comment s’applique très concrètement, ici, toute une politique doublée de logiques administratives non seulement révoltantes, mais qui sont les retombées des slogans du RN sur la préférence raciale et le « trop d’immigrés ». La réponse est cinglante.
On apprend qu’il existe désormais un véritable « marché noir » à travers des annonces sur les réseaux sociaux et via des boutiques de téléphones afin d’obtenir des rendez-vous plus rapides. Face à la maltraitance institutionnelle, ces collectifs et comités regroupent des militants associatifs (le Comité intermouvements auprès des évacués, Cimade ; la Ligue des droits de l’homme, LDH, etc.) et politiques (PCF, LFI, NPA, CGT, etc.) aguerris. Implantés de longue date sur le territoire, ces collectifs et comités sont très présents sur le terrain et réactifs, viennent en aide aux plus précaires et à celles et ceux qui n’osent même plus réclamer leurs droits, alertent les élus, tentent de faire pression sur les préfets et sous-préfets et d’améliorer les conditions d’accueil.
Tout en utilisant les modalités d’auto-organisation numériques, sans s’y laisser piéger, reprendre l’initiative, c’est aussi « faire convivial », être ensemble. Des réunions publiques abordent la question : qu’est-ce que ces luttes autonomes et articulées ont en commun ? L’enjeu est aussi d’élargir la mobilisation tant l’absence de renouvellement générationnel et l’absence de diversité sautent aux yeux. Avec un ancrage très local, ces mobilisations n’en font pas moins écho à la violence sociale du capitalisme illimité et écocidaire[21] ainsi qu’aux violences des polices nationales et municipales, largement documentées et mises en cause par des collectifs comme Stop violences policières. Elles sont inséparables de tout un réseau alternatif (coopératives, formations professionnelles et techniques, jardins collectifs, événements culturels) qui les irrigue.
Sans doute cette effervescence collective constitue-t-elle autant de « prises » contre les effets néfastes de l’extrême droite, le lieu gros de possibles d’une libération de « l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante », pour reprendre Foucault. Mais ces prises ne cessent d’échapper.
La création du NFP et de comités locaux unitaires a relancé le débat proprement politique. Comment faire ? Quelles stratégie et organisation adopter ? Plutôt que de se – faire – balader de manif en manif, faut-il adopter une stratégie radicale, bloquer l’économie ? Comment reprendre l’initiative et le temps, faire pression sur les formations politiques sans se laisser inféoder à leur calendrier propre et aux seules échéances électorales (avec les municipales en vue) ? Faut-il engager un mouvement de désobéissance civile généralisée, faire la grève des tableaux Excel et de la bureaucratisation sans effet ? À quoi bon voter si on ne nous écoute pas ? Comment lutter contre l’abstention qui atteint des proportions considérables (44,7 % à Pierrefitte-sur-Seine/Saint-Denis Nord, 45,8 % au Blanc-Mesnil, 43 % à Sevran, avec un score record de 33 % au niveau national au premier tour des législatives, le « barrage antifasciste » ayant fonctionné) ? L’incertitude demeure.
Reste que ces micro-résistances et mobilisations à l’échelon local sont tout sauf banales. On pourra y voir la confirmation d’une « relocalisation de la politique »[22] où le local désigne une échelle sur laquelle nous semblons avoir encore prise. Mais nul angélisme : on sait que la composante de genre le dispute à celle de classe dans les zones sinistrées et oubliées. Tout se passe comme si les antiforces de résistance ne paraissaient pas trop dangereuses, tolérées à exister afin de pouvoir fortifier les forces de droite et d’extrême droite.
Ainsi gronde la colère. Encore une fois le plus souvent à bas bruit, en deçà des radars médiatiques, désignant la coupure entre le pitoyable spectacle de la politique « d’en haut » et les engagements de ceux et celles « d’en bas ». Ce n’est pas qu’une formule : elle dénote, plus encore que le décalage, un processus de fragmentation sociale et territoriale vis-à-vis duquel les appels à la convergence des luttes ou à l’unité semblent des vœux pieux.
Personne ne sait vraiment sur quoi cette situation critique peut déboucher et ce qu’elle pourrait produire à moyen terme. L’état de la « gauche » semble peu à même de contrer la fascisation qui vient. Les mouvements sociaux peuvent-ils encore canaliser la colère ? Sommes-nous à la veille d’une nouvelle explosion sociale inédite, qui serait à l’image de l’irruption quasi insurrectionnelle des Gilets jaunes, puissance n ? De nouvelles émeutes, toujours imprévisibles, dans les quartiers populaires, ou anti-immigrés comme en Angleterre et Hollande ? Le fatalisme social ambiant pourrait nourrir l’hypothèse d’une implosion continue jusqu’à l’élection annoncée de Marine Le Pen en 2027 ou lors d’élections présidentielles anticipées… Mais après ?
D’autres, prenant acte d’une fin de la politique et de sa diffraction en de multiples scènes, considèrent que seule l’hypothèse communaliste est à même de dessiner un avenir meilleur, une bonne vie et la possibilité d’un autre monde passant par des expérimentations et des échanges élargis dans des lieux indépendants, l’affirmation de communautés plurielles, de « nous ». Voilà, me semble-t-il, où nous en sommes.
Nasser les Communard·es
Comme en écho aux scènes effrayantes qui nous parviennent du monde, je voudrais finir par une autre scène qui aura profondément marqué ses participant·es. Elle s’est déroulée lors des commémorations du cent cinquantième anniversaire de la Commune de Paris et de « la semaine sanglante », samedi 29 mai 2021, dans le XXe arrondissement de Paris. Après une longue journée partie de la place de la République pour se rendre au mur des Fédérés, au Père Lachaise, nous sommes une centaine de personnes à écouter deux spécialistes de la Commune, Ludivine Bantigny et Quentin Deluermoz, devant la librairie bien connue, Le Monte-en-l’air, au soleil. Lorsque soudain surgit en contrebas un bien étrange cortège composé de prêtres en robe tenant des oriflammes et de fidèles qui commémorent la mort de cinq prêtres de la congrégation Picpus, fusillés par les Communards le 26 mai 1871.
Passé l’étonnement (« Qu’est-ce qu’ils foutent là ? »), les rires et les cris fusent (« Rentrez chez vous ! », « À bas, à bas, à bas les Versaillais ! » ou « Tout le monde déteste les Versaillais ! »), sans plus de manifestations de violence ni de menaces. Très vite survient une unité de la brigade de répression de l’action violente motorisée (Brav-M) qui nous nasse. Le public est sous bonne garde des policiers armés de LBD, manu militari. Les autorités avaient sans doute anticipé. Stupéfaction. Impossible de sortir de la nasse ni d’y rentrer. Finalement, après un conciliabule entre les intervenants, la discussion reprend vaille que vaille, alors que le cortège des religieux a fait demi-tour, sous bonne garde de la Brav-M. Ces policiers, qui rappellent les voltigeurs de sinistre mémoire, ont fini par être remplacés par des effectifs de sécurité publique. Toujours sans laisser sortir ni rentrer quiconque. Avant que le dispositif ne soit levé une heure plus tard et que nous reprenions un peu nos esprits…
Qu’est-ce à dire ? Une liberté d’expression décidemment menacée, sous contrôle ? Elle l’est. La Commune comme horizon face à l’expression de la fascisation en cours ? On peut en rêver. Mais, signe de l’inquiétude du temps, on a appris fin 2024 la fermeture de trois lieux de sociabilité politique, emblématiques du nord-est parisien : Le Lieu-Dit (animé depuis 2004 par Hossein Sadeghi), Le Jargon Libre (librairie libertaire fondée par Hellyette Bess en 1974) et Le Saint-Sauveur (bar libertaire apparu à la fin des années 1990, fondé par Julien Terzics, militant antifasciste, par ailleurs leader du groupe de punk rock Brigada Flores Magon, mort d’un cancer le 1er juillet 2024 à l’âge de 55 ans). Sans doute pas qu’un symbole. Car ce qu’il se joue dans la fascisation en cours, c’est aussi une offensive impitoyable contre ce type de lieux alternatifs et antifascistes et la pensée critique qui s’y exprime.
NDLR : Michel Kokoreff publie aujourd’hui même Émeute aux éditions Anamosa.