Politique

Fascisation et résistances populaires

Sociologue

Certains commémoraient la tragique nuit de Cristal, d’autres se poursuivaient dans les rues d’Amsterdam, en marge d’un match de foot, entre chasse aux Juifs et ratonnade, violence exacerbée de tous côtés. Cet événement, qui n’est que le symptôme local d’une fascisation globale par temps de néolibéralisme effréné, invite à observer les micro-résistances populaires qui s’organisent et à réfléchir à celles possibles contre le sentiment d’impuissance.

« Quel langage vais-je vous parler ? […] comment rendre sensible le mal qu’un mot décrète, qu’un mot corrige ? »
— Saint-Just[1]

L’irrésistible poussée des régimes nationalistes et populistes est un fait. Pire : nous assistons de jour en jour, dans la sidération, à un processus de fascisation. On en trouve l’expression un peu partout dans le monde, à des degrés divers, des États-Unis à l’Inde, de la Russie à la Turquie et à l’Autriche, de la Hongrie et de l’Italie aux Philippines, du Brésil et de l’Argentine à la Hollande et en France bien sûr. Les mêmes causes engendreraient-elles le même effet d’un backlash à l’ère globale, en réaction à la période progressive amorcée dans les années 1960 ? Mais, surtout, que faut-il entendre exactement par « fascisation » des sociétés démocratiques-capitalistes ? Un fascisme d’État, le stade ultime d’un régime néolibéral autoritaire, des micro-fascismes, ou encore des moments fascistes ? C’est toute la question.

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Elle est aussi celle de savoir comment faire face à ce processus. Résister apparaît comme un maître mot. Des équivalents et dérivés circulent dans les discours et les pratiques (dissidence, désertion, autodéfense populaire, désir de communisme) qui se transnationalisent. On observe une prolifération de mobilisations collectives, foyers de luttes et micro-résistances populaires un peu partout. Seulement voilà, disséminées tant à l’échelon local qu’international, ces mobilisations sont en partie invisibles, pas assez documentées, écrasées par les empires médiatiques et leur appareil de propagande inédit, sous haute surveillance et réprimées.

Certes, prendre en compte la « réalité sociale » de ces résistances diffuses ne permet en rien de dissiper le sentiment d’impuissance dominant. En revanche, cela permet de sortir des idéologies du moment (« binarisme » ou « campisme », « complotisme ») et de saisir la reconfiguration inédite qui s’opère sous nos yeux entre un néolibéralisme effréné, le brouillage entre droite


[1] Louis Antoine Léon de Saint-Just, 9 thermidor an II (27 juillet 1794), cité par Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires. Critique de la raison narrative, Paris : Hermann, 1972.

[2] Suite aux élections de 2023, et après huit mois de tractations de coalition entre le Parti pour la liberté (Partij voor de Vrijheid, PVV), le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (Volkspartij voor Vrijheid en Democratie, VVD), le Nouveau contrat social (Nieuw Sociaal Contract, NSC) et le Mouvement agriculteur-citoyen (BoerBurgerBeweging, BBB), le Premier ministre finalement désigné, Dick Schoof, n’est pas un homme politique mais un ancien directeur des services de sécurité de l’Intérieur.

[3] Bas Blokker et Mark Lievisse Adriaanse, « Comment Amsterdam est brièvement devenue le champ de bataille de la guerre de Gaza », NRC, 28 décembre 2024. Les rédacteurs ont mené des entretiens avec une soixantaine de personnes impliquées aux Pays-Bas et à l’étranger, des administrateurs (politiques) aux supporteurs et aux manifestants et des émeutiers aux chauffeurs de taxi. En outre, ils ont eu accès à de nombreux documents (confidentiels), images, e-mails et messages (de groupe) sur WhatsApp et Telegram, entre autres. Je remercie Angela Dekker de m’avoir signalé cette enquête et pour son éclairage sur la situation en Hollande.

[4] Voir, parmi d’autres textes d’intervention, Didier Fassin, Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza, Paris : La Découverte, 2024, qui, en hommage à Marc Bloch, pointe « la police de la pensée » qui s’est imposée et analyse cette « abdication historique ».

[5] Une comparaison s’imposerait avec les manifestations et blocages lors du match de football France-Israël du 13 novembre 2024.

[6] Le numéro 310 bis de la revue Les Temps Modernes, intitulé « Nouveau fascisme, nouvelle démocratie », datant de 1972, ou encore le séminaire de Maria Antonietta Macciocchi à l’université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis, publié en deux volumes aux édit

Michel Kokoreff

Sociologue, Professeur de sociologie à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

Mots-clés

Extrême droite

Notes

[1] Louis Antoine Léon de Saint-Just, 9 thermidor an II (27 juillet 1794), cité par Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires. Critique de la raison narrative, Paris : Hermann, 1972.

[2] Suite aux élections de 2023, et après huit mois de tractations de coalition entre le Parti pour la liberté (Partij voor de Vrijheid, PVV), le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (Volkspartij voor Vrijheid en Democratie, VVD), le Nouveau contrat social (Nieuw Sociaal Contract, NSC) et le Mouvement agriculteur-citoyen (BoerBurgerBeweging, BBB), le Premier ministre finalement désigné, Dick Schoof, n’est pas un homme politique mais un ancien directeur des services de sécurité de l’Intérieur.

[3] Bas Blokker et Mark Lievisse Adriaanse, « Comment Amsterdam est brièvement devenue le champ de bataille de la guerre de Gaza », NRC, 28 décembre 2024. Les rédacteurs ont mené des entretiens avec une soixantaine de personnes impliquées aux Pays-Bas et à l’étranger, des administrateurs (politiques) aux supporteurs et aux manifestants et des émeutiers aux chauffeurs de taxi. En outre, ils ont eu accès à de nombreux documents (confidentiels), images, e-mails et messages (de groupe) sur WhatsApp et Telegram, entre autres. Je remercie Angela Dekker de m’avoir signalé cette enquête et pour son éclairage sur la situation en Hollande.

[4] Voir, parmi d’autres textes d’intervention, Didier Fassin, Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza, Paris : La Découverte, 2024, qui, en hommage à Marc Bloch, pointe « la police de la pensée » qui s’est imposée et analyse cette « abdication historique ».

[5] Une comparaison s’imposerait avec les manifestations et blocages lors du match de football France-Israël du 13 novembre 2024.

[6] Le numéro 310 bis de la revue Les Temps Modernes, intitulé « Nouveau fascisme, nouvelle démocratie », datant de 1972, ou encore le séminaire de Maria Antonietta Macciocchi à l’université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis, publié en deux volumes aux édit