Écologie

Zéro artificialisation nette : un objectif en péril

Chargé de mission Biodiversité pour la FNH, Directeur des programmes et du plaidoyer de la FNH

Il faut sauver le ZAN. Alors que l’ensemble des groupes politiques se targuent de vouloir lutter contre l’artificialisation des sols, les attaques concernant l’objectif du Zéro artificialisation nette se multiplient. Depuis 2024, pas moins de 5 initiatives législatives intégrant des dispositions qui le videraient de sa substance ont vu le jour – et rencontrent une opposition bien trop faible.

Lorsque la loi Climat et résilience fut adoptée en 2021 – malgré de nombreuses carences –, la société civile a salué une grande avancée sur la préservation des sols. Enfin une loi qui promettait de réduire fortement la destruction des sols, en fixant une réduction de moitié de la consommation d’espaces d’ici 2031 et l’atteinte de la neutralité en matière d’artificialisation d’ici 2050 !

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En France, l’étalement urbain progresse à un rythme effréné : chaque année plus de 20 000 hectares d’espaces naturels, agricoles ou forestiers (ENAF) disparaissent sous le béton. Pourtant, les sols sont essentiels. Ils abritent une riche biodiversité (bactéries, champignons, nématodes, collemboles, etc.) et assurent de nombreux services écosystémiques. En favorisant l’infiltration des eaux et la recharge des nappes phréatiques, ils contribuent à limiter les inondations et les sécheresses, renforçant ainsi la résistance des territoires au changement climatique. Mieux encore, ils constituent d’importants puits de carbone, dont le stock est près de 3 fois plus important que dans le bois des forêts[1]. Préserver les sols, c’est aussi protéger les terres agricoles, qui sont les premières à être artificialisées, en particulier en périphérie des villes[2]. Alors que le ZAN devrait être considéré comme une priorité absolue en matière de préservation de la biodiversité – et qu’il n’est pas encore mis en place[3] –, il est régulièrement remis en cause.

À chaque projet de loi son un recul sur le ZAN

Réussir à limiter la consommation de terres naturelles pose un véritable défi aux collectivités locales, qui doivent aussi répondre aux enjeux d’accès au logement, aux services publics et aux transports. L’installation d’industries et le développement d’activités économiques sont également une préoccupation majeure, car elles sont synonymes d’attractivité pour leur territoire. Il y a donc bien une équation difficile, mais à résoudre nécessairement pour concilier la mise en œuvre des politiques publiques avec le ZAN. Malheureusement, aucune solution crédible n’est proposée pour y parvenir et les débats parlementaires sont l’occasion d’intégrer des exceptions et des remises en cause du ZAN.

De nombreux sénateurs ont ainsi déposé des amendements pour exempter du ZAN l’ensemble des projets industriels, ainsi que les constructions nécessaires aux exploitations agricoles. Pourtant, du côté de l’industrie, dont le besoin est estimé à environ 22 000 hectares d’ici 2030, des solutions alternatives existent. Plutôt que d’étendre encore les zones industrielles, la réindustrialisation peut s’appuyer sur la réutilisation des 150 000 hectares de friches et la densification des sites existants.

D’autres revendications se font entendre, avec des propositions d’amendements excluant les logements sociaux du calcul de l’artificialisation. Cette mesure visant théoriquement à favoriser leur construction comporte néanmoins un risque. Ne plus les comptabiliser incitera les acteurs de l’aménagement à en produire sur des terres nues, situées en périphérie des villes. Cet éloignement accentuerait la dépendance des ménages modestes à la voiture, tout en augmentant leurs dépenses de transport. De plus, en limitant leur présence dans les centres-villes, cette mesure freinerait la mixité sociale.

Contrairement aux idées reçues, le logement social est parfaitement compatible avec la sobriété foncière. Il est peu responsable de l’artificialisation, puisque 84% du parc social est constitué de logements collectifs, qui consomment peu d’espace (3% de la consommation de d’espaces naturels, agricoles ou forestiers (ENAF), contre 47% pour l’habitat individuel). Mieux encore, la majorité des habitations à loyers modérés (HLM) est construite sur des terrains déjà artificialisés : en Île-de-France, 87 % de leur production repose sur la densification et le renouvellement urbain.

La présence répétée de ces amendements dans plusieurs textes de loi souligne la fragilité du dispositif ZAN. Toujours en cours d’examen, ces dispositions risquent en effet d’être conservées à l’issue des débats parlementaires.

La proposition de loi TRACE, une attaque en règle du ZAN

Au-delà de ces attaques répétées contre la mise en œuvre du ZAN, le danger principal qui guette l’objectif ZAN vient d’une proposition de loi sénatoriale : la loi pour une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux ou loi TRACE. En prétextant vouloir mieux prendre en compte les spécificités territoriales et les besoins des élus locaux, cette proposition de loi est en réalité un dangereux retour en arrière dans la lutte contre l’artificialisation des sols.

Avec cette loi, exit l’objectif de réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) d’ici 2031. Pire encore, le texte propose un tour de passe-passe comptable : l’artificialisation ne serait plus mesurée que par la consommation d’ENAF, excluant ainsi une multitude d’aménagements destructeurs pour les sols. Avec cette méthode, un jardin public transformé en parking ou la construction de bâtiments d’élevages intensifs sur des terres agricoles ne seraient pas comptabilisés comme de l’artificialisation.

Le texte prévoit également de repousser les délais de révision des documents d’urbanisme, ce qui signifie qu’en attendant leur mise à jour, aucune réglementation ne viendra freiner les nouvelles restrictions. Par ailleurs, les projets d’envergure nationale ou européenne (PENE), tels que certains projets autoroutiers ou industriels, ne seraient pas pris en compte dans le calcul de l’artificialisation, représentant ainsi la disparition d’environ 12 500 hectares. Enfin, la gestion de l’artificialisation serait confiée à une conférence de gouvernance de la sobriété foncière, sans qu’aucune limite d’artificialisation maximale ni échéance ne lui soit imposée.

Un gouvernement frileux dans la défense du ZAN

La position du gouvernement vis-à-vis de cette proposition de loi sénatoriale est inquiétante. Le ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, François Rebsamen, se range ainsi derrière plusieurs « mesures anti-ZAN », comme l’exclusion des projets d’envergure nationale ou européenne (PENE) du décompte de l’artificialisation. Seule différence notable, il refuse d’abandonner l’objectif de réduction de moitié de la consommation d’ENAF d’ici 2031, mais suggère de le repousser à 2034. Ceci reviendrait à ne pas comptabiliser l’artificialisation ayant eu lieu entre 2021 et 2023, soit environ 60 000 hectares, d’après la tendance actuelle[4]. Selon le ministre, sans cadre législatif clair, les collectivités étaient dans l’incapacité de maîtriser leur consommation foncière entre 2021 et 2024 ; mais rien ne garantit que l’objectif ne soit une nouvelle fois repoussé dans les cinq ans, pour les mêmes raisons.

Dans ce contexte où les reculs environnementaux s’accumulent, il est urgent que des voix s’élèvent pour défendre fermement l’objectif ZAN. Celle d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, est très attendue.

Redonner un second souffle au ZAN

Les attaques contre le ZAN traduisent avant tout les inquiétudes vis-à-vis d’un modèle d’aménagement à bout de souffle. Les élus locaux, les acteurs économiques et certains parlementaires expriment une crainte légitime : celle d’un frein au développement, d’une impasse sur le logement et l’industrie. Mais les solutions existent et il est temps de les massifier. Un rapport de la Fondation pour la nature et l’homme et de la Fondation pour le logement des défavorisés propose ainsi plusieurs pistes pour concilier lutte contre l’artificialisation des sols et lutte contre le mal-logement. Parmi elles, la transformation des bureaux vacants en logements, la surélévation et la densification de certaines zones pavillonnaires, tout en préservant les trames écologiques, ou encore l’encadrement des résidences secondaires et des meublés de tourisme.

Reste un obstacle de taille : sa mise en œuvre. Pour espérer sauver le ZAN, le financement et l’ingénierie locale se doivent d’être à la hauteur. Ainsi, plusieurs propositions peuvent être formulées, comme l’ajout d’un nouveau critère de répartition au sein de la Dotation globale de fonctionnement (DGF). Ce critère prendrait en compte la surface des espaces non bâtis, en attribuant des montants plus élevés pour ces espaces que pour les espaces bâtis. Cette mesure incitative encouragerait ainsi la renaturation et la préservation des espaces naturels. On pourrait également envisager le renforcement de la taxe sur les logements vacants, en particulier sur les multipropriétaires de logements vacants, afin de les inciter à remettre ces logements sur le marché locatif.

Malgré ces propositions concrètes, rien n’a été repris dans le dernier projet de loi de finances. Pourtant, reculer devant ces défis reviendrait à prolonger un modèle d’aménagement destructeur et dépassé. Plutôt que de détricoter le ZAN, le gouvernement devrait au contraire accompagner les collectivités dans cette transition, car face à l’effondrement de la biodiversité, il est grand temps d’agir.


[1] D’après les données du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

[2] D’après France Stratégie, près de 80% de l’artificialisation a lieu sur les terres agricoles.

[3] Le ZAN ne sera inscrit dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) qu’en 2028.

[4] Cette estimation du Cerema fait la somme des 21 011 hectares de 2021, des 20 276 en 2022 et des données encore indisponibles pour 2023. Le gouvernement mentionne 37 500 hectares mais ce chiffre n’a pour le moment pas été étayé.

Félix Mailly

Chargé de mission Biodiversité pour la FNH

Thomas Uthayakumar

Directeur des programmes et du plaidoyer de la FNH

Notes

[1] D’après les données du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).

[2] D’après France Stratégie, près de 80% de l’artificialisation a lieu sur les terres agricoles.

[3] Le ZAN ne sera inscrit dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) qu’en 2028.

[4] Cette estimation du Cerema fait la somme des 21 011 hectares de 2021, des 20 276 en 2022 et des données encore indisponibles pour 2023. Le gouvernement mentionne 37 500 hectares mais ce chiffre n’a pour le moment pas été étayé.