Politique

Ce monde nous rend-il fou ?

Historien

Entre un Donald Trump s’autoproclamant « complètement fou » et des publications rattachant les décisions d’Emmanuel Macron à une « perversion narcissique », les champs médiatique comme scientifique effectuent de plus en plus d’incursions vers la psychologie pour expliquer les décisions politiques. Un prisme d’analyse renforcé par les extravagances des dirigeants et le désordre ambiant du politique, mais qui dissimule les véritables intérêts à l’œuvre – l’ingéniosité derrière le chaos apparent.

Plus que jamais, un sentiment d’incertitude envahit les esprits, même les plus aiguisés, qui s’efforcent de comprendre le monde contemporain. Face aux tourmentes politiques qui emportent tant de nations, les grilles d’analyse habituelles s’effondrent les unes après les autres. Les vieux langages, les antiques références, les concepts éprouvés, sur lesquels les deux derniers siècles, imbriqués l’un dans l’autre, se sont pensés et projetés, peinent à rendre compte du monde tel qu’il va. Les ripolinages contemporains ne leur confèrent tout au plus que quelques couleurs criardes.

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Cette impuissance intellectuelle encourage une paresse qui tend à nous égarer et à nous priver des bonnes réponses. La psychologie, dans sa version souvent la moins élaborée, se mue peu à peu en passe-partout, ouvrant tout, expliquant tout, remplaçant ainsi le riche trousseau de clés que mobilisent ceux qui font profession de comprendre le monde. Une grande régression intellectuelle conduit à n’avancer comme causes des événements qui fracassent le monde que la démence ou le dérangement de quelques-uns. Ainsi les États-Unis ne seraient-ils en proie qu’aux caprices d’un prince voué aux « petites maisons ». La Russie serait aux mains d’un paranoïaque mégalomane. L’Argentine aurait cédé aux vaticinations d’un quasi maniaque. La France, elle-même, pourtant si éprise de raison, se serait soumise à un pervers narcissique.

Que ceux qui nous gouvernent, à tous les échelons, ne soient pas tous sains d’esprit, comme ils tentent de nous le faire accroire, nul ne pourrait le nier. L’histoire fait état de cas célèbres de « malades » en charge du gouvernement des hommes et de l’administration des choses. Les tyrans ne sont d’ailleurs pas les seuls concernés. Les démocraties, elles aussi, se livrent parfois à des âmes torturées et souffrantes qui ne leur procurent aucun bien. Il est vrai qu’en normalisant l’exercice du pouvoir, par des voies institutionnelles, certains pays ont moins été en butte que


Christophe Prochasson

Historien, Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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