Société

Il faut « rouvrir » les cahiers de doléances… mais pour faire quoi ?

Sociologue, Historien

Alors qu’Emmanuel Macron devait en tirer des leçons le 15 avril 2019, l’incendie de Notre-Dame, le même jour, lui fit oublier le Grand débat national ouvert pour résoudre la crise des Gilets jaunes. Depuis, on entend que les cahiers de doléances ont été enterrés. Mais ils ne sont pas à rouvrir, ils sont ouverts et leur étude, scientifique du moins, n’est pas à reprendre mais à poursuivre car elle s’organise depuis quelques années dans la sphère citoyenne et la recherche publique, en dépit de l’indigence des moyens mis à leur disposition.

Cela fut salué à son époque en tant qu’innovation démocratique. La révolte, ou la protestation, des Gilets jaunes semblait pouvoir trouver une issue politique à la faveur du Grand débat national (GDN). Mise en œuvre par le gouvernement entre le 15 janvier et les 23 et 24 mars 2019, la consultation nationale se décomposait en deux actions principales : d’un côté, des conférences nationales et des débats organisés par les collectivités territoriales (vingt conférences citoyennes régionales et plus de dix mille réunions d’initiatives locales) ; de l’autre, des « cahiers citoyens d’expression libre » ouverts en mairie pour recueillir les doléances du peuple jusqu’au 15 mars 2019 (environ une commune sur deux a offert cette possibilité à ses concitoyens).

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D’une certaine manière, ils succèdent aux cahiers de doléances mis en place par l’Association des maires ruraux de France (AMRF) dès le début de décembre 2018[1].

Nombreux furent celles et ceux qui soulignèrent que la montagne accoucha d’une souris. L’impressionnant dispositif, monté à la hâte et coûteux en moyens humains et financiers, apparut à certains commentateurs politiques comme une manœuvre de diversion, provisoirement réussie, pour sortir de la séquence ouverte par les Gilets jaunes sans tenir compte du contenu foisonnant mais surtout déstabilisant des doléances, exprimées dans les cahiers ou sur les ronds-points, par rapport aux réformes en cours.

Le 8 avril 2019, le GDN donnait lieu à une restitution au Grand Palais, conclue par le Premier ministre Édouard Philippe. Déclarant que « toutes les données sont désormais disponibles » et « ouvertes à tous ceux qui voudront les analyser », il affirmait son attachement à la « transparence » du Grand débat[2]. Du reste, le site du GDN allégue que le gouvernement s’engage à ce que l’ensemble des contributions (cahiers citoyens, comptes-rendus des réunions d’initiatives locales, courriers, courriels et participations en ligne) soient « à terme accessibles à to


[1] La synthèse nationale de l’AMRF a été diffusée la veille du lancement des cahiers citoyens.

[2] Il est savoureux de lire, aujourd’hui, les quatre « exigences » que dégageait le Premier ministre : la baisse des impôts et de la dépense publique ; l’adaptation des services publics au désir des usagers d’une plus grande proximité et d’une présence humaine ; la construction d’une démocratie plus délibérative, plus participative et exemplaire ; la lutte contre le changement climatique.

[3] Voir Didier Le Bret (dir.), Rendez les doléances ! Enquête sur la parole confisquée des Français, JC Lattès, 2022.

[4] Voir Magali Della Sudda, « Que faire des cahiers de doléances ? », La Gazette des Archives, n° 271, 2024.

[5] Ce soudain intérêt a fait plus de bruit médiatique, hélas, que la « proposition de résolution relative à la publicisation des doléances du Grand débat national », déposée le 12 janvier 2024 à l’Assemblée nationale par la députée écologiste Marie Pochon et dix-sept autres députés, depuis LFI jusqu’au Modem. Elle devait être mise à l’ordre du jour le 19 juin 2024 ; la dissolution en a décidé autrement.

[6] En 2021, le gouvernement a fait savoir qu’il renonçait à cette publication. Voir Magali Della Sudda, « Que faire des cahiers de doléances ? », art. cité.

[7] Voir le blog richement illustré de la spécialiste des archives Marie-Anne Chabin.

[8] Voir, à propos du circuit des cahiers, Magali Della Sudda et Nicolas Patin, « L’enquête auprès des Gilets jaunes et la recherche citoyenne sur les cahiers de doléances », audition de cadrage au Conseil économique et social régional de Nouvelle-Aquitaine (21 juin 2024), ANR « GILETSJAUNES », 2024.

[9] Selon ce qu’indique un courrier des ministères concernés par l’opération du GDN adressé aux préfets en date du 20 mars 2019 ; il est question de « reprographie » et d’acheminement des « photocopies ». Toutefois, faute d’enquêtes systématiques, nous ne connaissons pas bien l’ensemble des manipulations effectuées en préfectu

Laurent Dartigues

Sociologue, Chercheur au CNRS, membre du laboratoire Triangle – Action, discours, pensée politique et économique (Lyon)

François Robert

Historien, Ingénieur de recherche au CNRS, membre du laboratoire Triangle – Action, discours, pensée politique et économique (Lyon)

Mots-clés

Gilets jaunes

Notes

[1] La synthèse nationale de l’AMRF a été diffusée la veille du lancement des cahiers citoyens.

[2] Il est savoureux de lire, aujourd’hui, les quatre « exigences » que dégageait le Premier ministre : la baisse des impôts et de la dépense publique ; l’adaptation des services publics au désir des usagers d’une plus grande proximité et d’une présence humaine ; la construction d’une démocratie plus délibérative, plus participative et exemplaire ; la lutte contre le changement climatique.

[3] Voir Didier Le Bret (dir.), Rendez les doléances ! Enquête sur la parole confisquée des Français, JC Lattès, 2022.

[4] Voir Magali Della Sudda, « Que faire des cahiers de doléances ? », La Gazette des Archives, n° 271, 2024.

[5] Ce soudain intérêt a fait plus de bruit médiatique, hélas, que la « proposition de résolution relative à la publicisation des doléances du Grand débat national », déposée le 12 janvier 2024 à l’Assemblée nationale par la députée écologiste Marie Pochon et dix-sept autres députés, depuis LFI jusqu’au Modem. Elle devait être mise à l’ordre du jour le 19 juin 2024 ; la dissolution en a décidé autrement.

[6] En 2021, le gouvernement a fait savoir qu’il renonçait à cette publication. Voir Magali Della Sudda, « Que faire des cahiers de doléances ? », art. cité.

[7] Voir le blog richement illustré de la spécialiste des archives Marie-Anne Chabin.

[8] Voir, à propos du circuit des cahiers, Magali Della Sudda et Nicolas Patin, « L’enquête auprès des Gilets jaunes et la recherche citoyenne sur les cahiers de doléances », audition de cadrage au Conseil économique et social régional de Nouvelle-Aquitaine (21 juin 2024), ANR « GILETSJAUNES », 2024.

[9] Selon ce qu’indique un courrier des ministères concernés par l’opération du GDN adressé aux préfets en date du 20 mars 2019 ; il est question de « reprographie » et d’acheminement des « photocopies ». Toutefois, faute d’enquêtes systématiques, nous ne connaissons pas bien l’ensemble des manipulations effectuées en préfectu