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Qui tuera Liberty Valance ? Du western classique à la réalité du Far East européen

Politiste, Philosophe

« Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende » ; l’on pourrait aujourd’hui transposer l’adage qui clôt le film L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford à la situation de l’Europe. De fait, tandis que celle-ci semble continuer à vivre dans le mythe d’un espace pacifié par le droit, elle oblitère délibérément le « Far East » et contribue, par son attentisme, à laisser l’Ukraine en proie aux assauts les plus sanguinaires du Kremlin.

En 1962, John Ford porte à l’écran son film-testament, adapté d’une courte nouvelle de Dorothy M. Johnson, L’Homme qui tua Liberty Valance, publiée initialement en 1949. Dans ce film emblématique du western classique américain, la scène d’ouverture commence par l’arrivée du sénateur Ransom Stoddard dans la petite ville de Shinbone.

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Venu de Washington pour assister à l’enterrement de Tom Doniphon, un poor lonesone cow-boy qui, jadis, l’avait sauvé de la brutalité d’un hors-la-loi, Liberty Valance, il raconte aux journalistes locaux comment il a pu en débarrasser la ville, être investi héros de l’ordre américain jusqu’à gravir les échelons qui le destineront aux plus hautes fonctions politiques.

Dans cette fable morale, la cruauté sans limite de Liberty Valance n’est pas isolée ni gratuite. Elle sert les intérêts des grands propriétaires terriens soucieux de garder la plaine ouverte à leurs troupeaux, contre la volonté de ceux qui, petits propriétaires ou commerçants, sont favorables à l’entrée de leur territoire dans une fédération qui leur garantirait l’effectivité d’un ordre légal qu’ils espèrent protecteur. Trois forces s’opposent ici : Ransom Stoddard, empli des idéaux du jeune avocat, transportant ses manuels de droit dans la wilderness américaine; Liberty Valance, dont la brutalité sans limite sert des intérêts criminels politiques et économiques clairement identifiés et qui, dans le tout premier temps de l’analepse, détrousse la diligence de Stoddard en s’acharnant à en déchirer les livres ; et enfin Tom Doniphon, fort-en-colt opposé à Valance, et supplétif officieux d’un shérif peureux et lâche.

Le Far West est-il toujours l’ailleurs de l’Europe ?

Voir ou revoir ce western depuis l’agression à grande échelle de l’Ukraine par la Russie nous a invité, depuis Paris et Kyiv, à transposer cette fable à la situation actuelle du continent européen. Car dans la parole politique occidentale qui s’offusque de certains troubles à l’ordre public interne, nous e


[1] Propos d’Emmanuel Macron sur la situation en Nouvelle-Calédonie tenus le 24 mai 2024 : « Ce n’est pas le Far West! La République doit apporter la sécurité à chacun».

[2] Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, 3 volumes, Harcourt Brace & Co., New York, 1951.

[3] Victor-Andreïevitch Kravchenko, J’ai choisi la liberté [1946], trad. fr. Jean de Kerdeland, ed.O. Orban, 1980, p.805).

[4] Sur le procès de Bruxelles et l’action de l’intellectuel français David Rousset dans la mise en place dès juillet 1950 d’une Commission internationale contre le régime concentrationnaire (CICRC), nous renvoyons à la lecture d’Antony Cambon, « Bruxelles, 21-26 mai 1951. Un “Nuremberg symbolique” oublié pour les camps du Goulag », 20 & 21. Revue d’Histoire, 2020/4, n°148, p. 65-79; Sur le procès Kravchenko, nous renvoyons au cadrage étudié par Liora Israël, « Un procès du Goulag au temps du Goulag. L’affaire Kravchenko (1949) », Critique internationale, n°36, juillet-septembre 2007, p.85-101.

Christine Cadot

Politiste, Professeure à l'Université Paris 8 et membre du laboratoire CRESPPA

Constantin Sigov

Philosophe, Philosophe, directeur du Centre d’études européennes à l’université Mohyla de Kyiv et de la maison d'édition Dukh i Litera (L’Esprit et la Lettre).

Notes

[1] Propos d’Emmanuel Macron sur la situation en Nouvelle-Calédonie tenus le 24 mai 2024 : « Ce n’est pas le Far West! La République doit apporter la sécurité à chacun».

[2] Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, 3 volumes, Harcourt Brace & Co., New York, 1951.

[3] Victor-Andreïevitch Kravchenko, J’ai choisi la liberté [1946], trad. fr. Jean de Kerdeland, ed.O. Orban, 1980, p.805).

[4] Sur le procès de Bruxelles et l’action de l’intellectuel français David Rousset dans la mise en place dès juillet 1950 d’une Commission internationale contre le régime concentrationnaire (CICRC), nous renvoyons à la lecture d’Antony Cambon, « Bruxelles, 21-26 mai 1951. Un “Nuremberg symbolique” oublié pour les camps du Goulag », 20 & 21. Revue d’Histoire, 2020/4, n°148, p. 65-79; Sur le procès Kravchenko, nous renvoyons au cadrage étudié par Liora Israël, « Un procès du Goulag au temps du Goulag. L’affaire Kravchenko (1949) », Critique internationale, n°36, juillet-septembre 2007, p.85-101.