Le Madleen ou l’inachevé comme forme politique
Il est des gestes qui sans parvenir à destination, modifient la géographie du monde. Des gestes qui, parce qu’interrompus, fragiles, inachevés, n’en acquièrent que plus de puissance : celle d’ouvrir une faille dans le réel, d’exposer l’inacceptable, de rendre visible ce que les récits dominants s’emploient à dissimuler.

Le Madleen, voilier modeste chargé de vivres offerts par les habitants de Catane, quitte la Sicile le 1er juin 2025 avec à son bord, douze passagers, dont Greta Thunberg et Rima Hassan, figures de l’engagement écologiste et palestinien. Ensemble, ils incarnent une présence vulnérable mais irréductible, la dernière tentative de la Coalition de la flottille pour la liberté (née en 2010) de défier le blocus de Gaza. Sa cargaison symbolique dépasse les vivres : elle transporte une interpellation ultime, adressée à une communauté internationale dont l’inaction n’est plus simple paralysie, mais stratégie de consentement. Le 5 juin, le navire dévie de sa trajectoire pour secourir quatre migrants soudanais. Le 8, il navigue encore, sans escorte, dans les eaux proches de l’Égypte, suspendu entre menace d’interception et silence diplomatique. Dans la nuit du 8 au 9, les dernières images filmées par les occupants du bateau les montrent en gilets de sauvetage, tandis que les alarmes du bateau sont en action pour prévenir l’arrivée des commandos israéliens.
Dès son départ, l’initiative, fut moquée, qualifiée de « croisière », de mise en scène, ou d’« opération de communication ». Preuve, s’il en fallait, que ce qui dérange n’est pas tant son efficacité que sa possibilité même. Cette dérision médiatique, loin d’être marginale, fait écho au mutisme plus large de la communauté internationale : un silence actif, qui tolère l’inacceptable tout en disqualifiant ceux qui refuse de s’y résoudre. Car cette traversée n’a pas pour but une arrivée, mais affirme, dans son inachèvement, une autre logique du politique.
La flottille relève en effet de ces formes d’acti