Société

Depuis la prison, construire un autre regard sur l’enfermement carcéral

Sociologue

L’obsession médiatique et politique pour la « délinquance » et le narcotrafic contribue à une véritable spectacularisation de la criminalité qui empêche tout examen approfondi des raisons systémiques qui préexistent aux délits. À partir des expériences vécues des détenus de la prison des Baumettes à Marseille, la recherche appliquée de l’Écollectif s’inscrit à rebours de ces discours dominants qui considèrent qu’il y aurait à l’évidence des « personnes à enfermer » là où, comme l’écrivait Michel Foucault, la prison participe à la « fabrication des délinquants ».

Faire de la sociologie de manière artisanale et collective en prison, voilà ce qui constitue mon quotidien depuis deux ans. Aux Baumettes, je tente d’inventer d’autres conditions et méthodologies de recherche pour produire des connaissances sur les fonctions sociales de l’enfermement carcéral, au plus près de ce qu’en pensent ceux qui y sont confrontés.

J’étudie la prison depuis de nombreuses années, et jusqu’ici je n’avais pas rencontré d’espace dédié et de possibilités de temps long pour associer plus étroitement les détenus à la recherche sociologique. J’avais pourtant l’intuition qu’ils étaient les plus à même de renouveler des angles de vue différents, des analyses et des narratifs sur la prison. L’intérêt de créer les conditions de possibilité pour un travail maïeutique avec eux, ainsi qu’une sorte d’observatoire des questions sociales et des politiques publiques depuis la détention m’apparaissait de plus en plus nettement.

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C’est à ce projet que je me suis attelée, en faisant le pari que la naissance d’un tel espace aux Baumettes, à Marseille, aurait des répercussions sur les plans symboliques et concrets, sur ce qu’on a à comprendre de la prison et depuis la prison. J’ai pensé que c’était une tentative intéressante de sociologie et de citoyenneté, et encore aujourd’hui malgré des épisodes réguliers de découragement, je pense ne pas m’être trompée.

Nous sommes en mai 2023 quand les choses sérieuses commencent pour ce projet. Après quatorze mois à avoir expérimenté la mise en œuvre d’un premier groupe de réflexion sociologique dans la partie SAS (structure d’accompagnement vers la sortie) de la prison des Baumettes, je déplace l’initiative sur un grand secteur de la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Marseille : le QH1 (quartier hommes 1, qui compte 146 cellules pour environ 300 personnes détenues).

Je le fais d’abord reposer sur une proposition : la création d’un collectif de réflexion sur la transition sociale et écologique. Parce que l’écolo


[1] Processus généralement long et non linéaire par lequel un individu cesse de commettre des infractions.

Leïla Delannoy Aissaoui

Sociologue, Chercheuse associée au SOPHIAPOL, référente recherche de la Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires de Marseille

Notes

[1] Processus généralement long et non linéaire par lequel un individu cesse de commettre des infractions.