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Être et ne pas être la catastrophe : nouvelles notes sur la fragmentation

sociologue et psychanalyste , Anthropologue

En menant une politique méthodique de destruction des sites et des rites funéraires, les forces armées israéliennes détruisent le ciment le plus solide de toute société : celui qui relie ses vivants et ses morts. Il y a 10 mois, Ana Gebrim et Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky questionnaient déjà, dans AOC, la possibilité pour une écriture fragmentée de dire les corps déchirés à Gaza. Comment répondre, par les mots, à l’annihilation par Israël des rites funéraires palestiniens ?

Antigone, la tragédie de Sophocle, raconte le périple d’une femme pour le droit d’ensevelir son frère. Deux des fils d’Œdipe – les jumeaux Étéocle et Polynice –, après la mort de leur père, se livrent une guerre pour le gouvernement de la région. Dans leur lutte, les frères se tuent mutuellement.

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Cependant, Créon, gouverneur de Thèbes, frère de Jocaste – épouse et mère d’Œdipe –, décide que seul Étéocle sera enterré. Polynice, considéré comme traître, ne sera pas inhumé afin d’être exposé à la dégradation, à la putréfaction et dévoré par les animaux. Antigone défie le décret de son oncle et accomplit à plusieurs reprises un rituel funéraire en couvrant le corps mort de son frère. En un appel à l’éthique, elle invoque les lois divines et ne répond pas aux lois tyranniques des hommes. Réclamant le droit de prendre soin des morts, Antigone est condamnée à être enterrée vivante. Pourtant, elle ne réagit même pas à cette décision de Créon. Avant cela, elle met fin à ses jours.

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Ce que l’on fait d’un corps mort semble également révéler le destin des vivants. Qui a droit à un rituel funéraire, ou même quels corps morts peuvent être inhumés, renvoie au traitement des vivants. Susan Sontag, dans son essai Devant la douleur des autres, discute une question importante : pourquoi aucune image de corps morts ou blessés des attaques du 11 septembre aux États-Unis n’a-t-elle jamais été montrée, alors que dans d’autres catastrophes, il est courant de diffuser massivement des images de corps déchirés et souffrants ? Quel statut de figurabilité et de reconnaissance possède chaque corps mort ? Les corps qui peuvent être montrés ou non ne seraient-ils pas précisément les mêmes qui peuvent être tués ou non, ou encore, ceux dont le deuil est permis ou non ? Selon Sontag, on traite généralement avec discrétion la douleur considérée comme intime et pertinente, et on relègue à une obscénité morbide ou hyper-visible la douleur des autres. Ainsi, aux morts dignes de deuil on réserv


Ana Gebrim

sociologue et psychanalyste

Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky

Anthropologue, Psychologue, professeure à l’Inalco, directrice de l'Institut Convergences Migrations