Être et ne pas être la catastrophe : nouvelles notes sur la fragmentation
Antigone, la tragédie de Sophocle, raconte le périple d’une femme pour le droit d’ensevelir son frère. Deux des fils d’Œdipe – les jumeaux Étéocle et Polynice –, après la mort de leur père, se livrent une guerre pour le gouvernement de la région. Dans leur lutte, les frères se tuent mutuellement.

Cependant, Créon, gouverneur de Thèbes, frère de Jocaste – épouse et mère d’Œdipe –, décide que seul Étéocle sera enterré. Polynice, considéré comme traître, ne sera pas inhumé afin d’être exposé à la dégradation, à la putréfaction et dévoré par les animaux. Antigone défie le décret de son oncle et accomplit à plusieurs reprises un rituel funéraire en couvrant le corps mort de son frère. En un appel à l’éthique, elle invoque les lois divines et ne répond pas aux lois tyranniques des hommes. Réclamant le droit de prendre soin des morts, Antigone est condamnée à être enterrée vivante. Pourtant, elle ne réagit même pas à cette décision de Créon. Avant cela, elle met fin à ses jours.
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Ce que l’on fait d’un corps mort semble également révéler le destin des vivants. Qui a droit à un rituel funéraire, ou même quels corps morts peuvent être inhumés, renvoie au traitement des vivants. Susan Sontag, dans son essai Devant la douleur des autres, discute une question importante : pourquoi aucune image de corps morts ou blessés des attaques du 11 septembre aux États-Unis n’a-t-elle jamais été montrée, alors que dans d’autres catastrophes, il est courant de diffuser massivement des images de corps déchirés et souffrants ? Quel statut de figurabilité et de reconnaissance possède chaque corps mort ? Les corps qui peuvent être montrés ou non ne seraient-ils pas précisément les mêmes qui peuvent être tués ou non, ou encore, ceux dont le deuil est permis ou non ? Selon Sontag, on traite généralement avec discrétion la douleur considérée comme intime et pertinente, et on relègue à une obscénité morbide ou hyper-visible la douleur des autres. Ainsi, aux morts dignes de deuil on réserv