Le contournement du juge constitutionnel, manifestation de sa crise de légitimité
L’État de droit traverse depuis une vingtaine d’années — avec une nette accélération depuis la « contre-révolution culturelle » en Hongrie et en Pologne[1] —une crise profonde dans les démocraties occidentales et au-delà. Elle se double d’une autre crise plus ancienne, dont elle est proche mais qu’elle ne recouvre qu’en partie, celle de la démocratie et de la représentation. La participation des citoyens aux élections diminue, de même que leur confiance dans les institutions et la classe politique perçue comme un groupe social de plus en plus éloigné d’eux et défendant ses intérêts propres, ce qui produit de nouvelles formes de contestation, d’action et de participation contribuant dans le même temps à faire vivre l’idée de démocratie[2]. Cette crise a des ressorts multiples auxquels de nombreux travaux ont été consacrés ces quarante dernières années principalement en science politique et en sociologie. Elle se trouve au point de croisement de deux mouvements ou de deux processus : le « déclin du politique » et l’avènement d’une « société de la défiance », ceux-ci trouvant eux-mêmes leur cause dans une série d’évènements et de phénomènes étroitement liés les uns aux autres[3].

La place contestée du juge en démocratie
La défiance est encore plus grande à l’égard du juge compte tenu du sentiment de doute et de suspicion qui pèse sur lui. L’idée selon laquelle la justice agirait dans l’opacité, qu’elle serait instrumentalisée politiquement et même téléguidée par le pouvoir en place refait surface chaque fois que des procédures judiciaires sont ouvertes et des condamnations prononcées contre des responsables politiques. Dirigeants, commentateurs et intellectuels s’empressent de dénoncer une justice aux ordres, l’instrumentalisation politique de l’État de droit par les magistrats pour museler l’action publique. Les critiques émanent aussi d’une partie du monde de la recherche qui prête aux magistrats une « volonté moralisatrice » et s’inquiète du « concubinage