International

Deux manières d’amener un peuple à voter contre ses intérêts (en démocratie)

Japonologue

Pourtant diamétralement opposés, les systèmes éducatifs japonais et états-unien contribuent, chacun à sa manière, à l’apathie politique des citoyens qu’ils forment. Alors que l’un repose sur la formation conformiste d’intelligences dociles, l’autre rend les masses aveugles à leurs intérêts réels. En filigrane, c’est une absence – ou un refus – inquiétante de l’esprit critique qui se dessine.

Le vote en démocratie est censé traduire la volonté du peuple tout en garantissant la défense des droits et des aspirations des individus qui le composent. On s’attend donc, naturellement, à ce que les citoyens expriment leurs choix électoraux en fonction de leurs convictions profondes et de leurs intérêts bien compris.

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Pourtant, dans de nombreux pays « libres », des électeurs apportent leurs suffrages à des partis ou à des dirigeants dont les politiques nuisent directement à leurs conditions de vie.  Comment comprendre ce déni d’intérêt collectif ? Comment interpréter cette forme de consentement à sa propre marginalisation ?

Deux contextes emblématiques peuvent nous fournir quelques pistes d’explication : les États-Unis et le Japon. Si tout semble opposer les modèles politiques et sociaux de ces deux pays, un même constat s’impose cependant : dans l’un comme dans l’autre, des mécanismes puissants poussent une part significative de leur population à voter contre ses propres intérêts. Aux États-Unis, cette tendance se manifeste de façon cyclique et ponctuelle – dans un système où le choix démocratique se résume à seulement deux options. Au Japon, elle s’exprime avec constance et prévisibilité – dans un cadre où ce choix est en réalité réduit à une seule option.

L’élection d’un personnage comme Donald Trump à la présidence des États-Unis a stupéfié les démocrates du monde entier, ainsi qu’une large part des citoyens américains. Mais que dire du fait que, au Japon, un seul et même parti – le Parti libéral-démocrate (PLD) – gouverne de façon quasi ininterrompue depuis 1955 ? Si l’on exclut la courte parenthèse de 2009 à 2012, cela représente près de sept décennies de pouvoir. Une telle absence d’alternance n’est-elle pas tout aussi sidérante ?

La fabrication du consentement par les médias et les grands récits idéologiques, ainsi que la fragmentation sociale, identitaire ou religieuse, qui détourne les citoyens des enjeux matériels, sont en général mobilisés po


[1] Sur le système éducatif états-uniens, voir : Laurence Émile-Besse, « Le système éducatif américain », Revue internationale d’éducation de Sèvres, no 35, 2004, p. 137-144.

[2] Voir : Anne Gonon et Christian Galan et, Occupy Tôkyô ! SEALDs, le mouvement oublié, Bordeaux, Le Bord de l’eau, juillet 2021

Christian Galan

Japonologue, Professeur à l’université Toulouse-Jean Jaurès et chercheur à l’Institut Français de Recherche sur l’Asie de l’Est (Inalco/université Paris/CNRS)

Notes

[1] Sur le système éducatif états-uniens, voir : Laurence Émile-Besse, « Le système éducatif américain », Revue internationale d’éducation de Sèvres, no 35, 2004, p. 137-144.

[2] Voir : Anne Gonon et Christian Galan et, Occupy Tôkyô ! SEALDs, le mouvement oublié, Bordeaux, Le Bord de l’eau, juillet 2021