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L’historien en romancier : le polar jamais écrit de Marc Bloch

Haut-fonctionnaire et historien

Marc Bloch entrera au Panthéon le 16 juin 2026, ce qui conduit l’université Paris 1 à accueillir ce samedi 27 septembre une journée d’études consacrée à son œuvre et à son parcours de résistant. L’occasion de découvrir un projet de roman policier datant 1940, écrit alors qu’il est mis à pied par Vichy. En construisant un narrateur-détective, Bloch raconte la recherche de la vérité, et les risques qu’elle représente, en plaçant au centre de ce projet – comme au centre de ses recherches – la province française.

Marc Bloch, bientôt, au Panthéon. Depuis plusieurs mois, les hommages se multiplient, étirant à plaisir ce qui, autrement, se réduirait à une cérémonie trop brève. Autant d’occasions bienvenues pour la patrie reconnaissante de (re)découvrir le grand homme : l’historien, bien sûr, professeur et chercheur, lecteur et critique exigeant, entrepreneur scientifique et éditorial, mais aussi résistant et martyr, assassiné en 1944.

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On relit ses ouvrages, on rouvre les archives, on feuillette correspondances et témoignages, comme si l’ombre du maître se matérialisait à chaque page. Et soudain, au détour d’une centaine de feuillets d’un carnet rouge commencé en octobre 1940 et baptisé Mea[1], parmi des notes de lecture, sèches et rapides, jetées au recto, surgit une petite fantaisie, presque insolente : un projet de roman, Un meurtre de province, signé Pol Charles Comblod, l’anagramme malin de Marc Léopold Bloch.

On est en décembre 1940. La France est occupée, Vichy purge les amphithéâtres de ses professeurs juifs. Bloch, mis à pied, navigue entre sa maison dans la Creuse et Paris, où il espère qu’on lui rendra sa chaire à la Sorbonne. L’Étrange Défaite est achevé, il dresse la liste des livres à venir : en tête, Apologie pour l’histoire ; en queue, cinquième et ultime projet, « mon roman policier ».

Marc Bloch, romancier ? L’idée a de quoi surprendre : celui qui a voué sa vie à bannir la fiction pour les faits, l’histoire romantique pour l’histoire scientifique, les impressions pour les documents, s’autorise sans prévenir un sérieux pas de côté.

À bien y regarder pourtant, il n’y a là rien d’incongru.

Le projet tient sur une seule page : quatorze points numérotés, comme des titres de chapitres à peine esquissés, et au revers un petit plan, croquis jeté sur un coin de table.

Le narrateur se nomme M. Martin, ancien professeur de collège – on aimerait que ce soit d’histoire, mais Bloch ne le dit pas –, retiré à Dun-Saint-Vincent, un village inventé d’une Haute-Charente


[1] Marc Bloch, Carnets inédits (1917-1943), éd. par Massimo Mastrogregori, Turin, Nino Aragno, 2016.

Guillaume Tronchet

Haut-fonctionnaire et historien, Chercheur associé à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine

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Notes

[1] Marc Bloch, Carnets inédits (1917-1943), éd. par Massimo Mastrogregori, Turin, Nino Aragno, 2016.