À la suite de Fanon, distendre le marxisme
La formule de Fanon « distendre le marxisme » n’est pas un slogan : c’est une méthode pour tenir ensemble empire, race et classe. Quarante ans après Marxisme noir de Cedric J. Robinson (1983), l’expression « capitalisme racial » continue d’éclairer la façon dont des hiérarchies héritées organisent l’accumulation ; encore faut-il éviter d’en faire une explication totale et la remettre à l’épreuve des traditions de lutte qu’elle prétend nommer.

Relire W.E.B. Du Bois, C. L. R. James et Richard Wright — leurs convergences comme leurs désaccords —, croiser cette généalogie avec les « parias racialisés » de Satnam Virdee et avec une lecture féministe de la tradition radicale noire, permet de sortir du faux dilemme « race contre classe » et de dégager des principes concrets de coalition par le bas. Ici et maintenant, il ne s’agit pas d’importer une étiquette mais d’apprendre où et comment distendre : dans les budgets, aux guichets et au cœur des organisations et techniques qui trient nos vies.
Pourquoi « distendre le marxisme »
Chez Fanon, « distendre » n’est pas rompre : c’est déplacer le point d’appui de l’analyse pour que la question raciale, coloniale et impériale cesse d’être un appendice du « social ». Or c’est exactement l’hypothèse que remet en jeu l’expression « capitalisme racial » : peut-on penser un capitalisme non racial, ou bien la dynamique propre du capitalisme travaille-t-elle toujours avec – et à travers – des classements raciaux, tantôt affichés, tantôt naturalisés ? La formulation pose explicitement cette alternative et invite à la traiter comme un problème conjoncturel, pas comme un dogme.
Ce déplacement n’implique pas de jeter Marx par-dessus bord. Robinson prend le marxisme au sérieux pour mieux en pointer les limites : l’eurocentrisme de certaines lectures, l’oubli des rapports sociaux de race, l’attention insuffisante aux formes d’expropriation et de domination qui ne passent pas par le seul salariat.
L’enjeu n’est donc pas d’opposer « ra