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Gaza, laboratoire d’une famine politique (1/2)

Cinéaste

À Gaza, l’affamement est utilisé comme une technologie politique. La faim devient instrument de guerre, méthode de déportation et technologie d’effacement politique, jusqu’à instituer un « génocide nutritionnel », dans une stratégie d’extermination différée et de nettoyage ethnique, rendue possible par des complicités internationales. À partir de ce laboratoire de violence, nous interrogeons les formes post-impériales du pouvoir de mort.

Depuis octobre 2023, Gaza est soumise à un programme de destruction systématique et multidimensionnelle, conjuguant bombardements massifs, assassinats ciblés, effondrement des infrastructures civiles, assèchement de l’accès aux ressources vitales – nourriture, eau, carburant, soins. L’« affamement » n’est pas une conséquence collatérale de cette violence, mais en est un vecteur central, pensé, organisé, mis en œuvre avec régularité. Il ne se substitue pas à la guerre par le feu, mais s’y articule, la prolonge et l’approfondit. Il constitue une stratégie d’extermination différée, dont l’objectif est le nettoyage ethnique[1] du territoire : non seulement l’élimination biologique progressive d’une population, mais aussi la désintégration délibérée de toute forme de vie politique collective, de reproduction sociale, et de résistance symbolique.

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Le corps affamé comme cible d’un effacement programmé

Le 22 août 2025, le constat technique et scientifique est venu sanctionner cette réalité politique : le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), organisme de référence soutenu par les Nations Unies, a officiellement déclaré l’état de famine dans le gouvernorat de Gaza, confirmant que plus de 20 % des ménages y font face à une pénurie alimentaire extrême, que 30 % des enfants souffrent de malnutrition aiguë et que le seuil de mortalité quotidienne par faim est dépassé. Cette déclaration, une première au Moyen-Orient, transforme l’accusation d’« affamement » en un fait irréfutable et qualifie juridiquement un crime de guerre. Le déni des autorités israéliennes, persistant, se heurte désormais à l’autorité froide des chiffres et des critères internationaux. La famine n’est plus une crainte, ni une imminence : elle est le présent administré de Gaza, l’étape ultime et planifiée de son anéantissement nutritionnel.

Dès le 5 août 2024, le ministre israélien des Finances Bezalel Smotrich en exposait la logique cynique en déclarant que « laisser mourir


[1] Le statut de Rome de la Cour pénale internationale définit les « crimes contre l’humanité » dans son article 7, qui inclut, entre autres, la déportation ou transfert forcé de population, la persécution de tout groupe identifiable pour des motifs politiques, raciaux, nationaux, ethniques, culturels, religieux ou sexistes, et « autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». Le « nettoyage ethnique » n’est pas défini en tant que tel en droit international, mais il est largement reconnu par les juristes et les institutions internationales, dont l’ONU, comme un concept descriptif recoupant un ensemble d’actes constitutifs de crimes contre l’humanité et/ou de génocide, visant à créer un territoire ethniquement homogène par la terreur et l’expulsion forcée d’un groupe particulier. Les déclarations des officiels israéliens sur la nécessité de « vider » Gaza, couplées aux mécanismes concret de déportation forcée par l’affamement décrits dans cet article, relèvent de cette qualification. Voir aussi : Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2006 ; « The 1948 Ethnic Cleansing of Palestine », Journal of Palestine Studies, volume 36, n°1, automne 2006.

[2] Déclaration du ministre des Finances Bezalel Smotrich, lors d’une conférence de presse, le 5 août 2024, au ministère des Finances, à Jérusalem. Cette déclaration, dénoncée par le gouvernement français (voir aussi les réactions de l’ONU), n’a pas empêché la tenue, le 13 novembre 2024, du gala « Israël for Ever » organisé par des personnalités d’extrême droite ; et dont Bezalel Smotrich devait être l’invité d’honneur avant d’annuler sa venue face aux réactions et milliers de manifestants, et de faire un discours à distance.

[3] Le 28 juillet 2025 les ONG israélienne PHR-I (Médecins pour les droits humains-Israël) et B’tselem, pour la première fois, emploient le terme de génocid

Sylvain George

Cinéaste

Notes

[1] Le statut de Rome de la Cour pénale internationale définit les « crimes contre l’humanité » dans son article 7, qui inclut, entre autres, la déportation ou transfert forcé de population, la persécution de tout groupe identifiable pour des motifs politiques, raciaux, nationaux, ethniques, culturels, religieux ou sexistes, et « autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». Le « nettoyage ethnique » n’est pas défini en tant que tel en droit international, mais il est largement reconnu par les juristes et les institutions internationales, dont l’ONU, comme un concept descriptif recoupant un ensemble d’actes constitutifs de crimes contre l’humanité et/ou de génocide, visant à créer un territoire ethniquement homogène par la terreur et l’expulsion forcée d’un groupe particulier. Les déclarations des officiels israéliens sur la nécessité de « vider » Gaza, couplées aux mécanismes concret de déportation forcée par l’affamement décrits dans cet article, relèvent de cette qualification. Voir aussi : Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2006 ; « The 1948 Ethnic Cleansing of Palestine », Journal of Palestine Studies, volume 36, n°1, automne 2006.

[2] Déclaration du ministre des Finances Bezalel Smotrich, lors d’une conférence de presse, le 5 août 2024, au ministère des Finances, à Jérusalem. Cette déclaration, dénoncée par le gouvernement français (voir aussi les réactions de l’ONU), n’a pas empêché la tenue, le 13 novembre 2024, du gala « Israël for Ever » organisé par des personnalités d’extrême droite ; et dont Bezalel Smotrich devait être l’invité d’honneur avant d’annuler sa venue face aux réactions et milliers de manifestants, et de faire un discours à distance.

[3] Le 28 juillet 2025 les ONG israélienne PHR-I (Médecins pour les droits humains-Israël) et B’tselem, pour la première fois, emploient le terme de génocid