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L’eugénisme politique de Trump : sur les êtres jetables

Anthropologue et historienne

Trump s’acharne à vouloir remonter le temps. La question est : jusqu’à quand ? En ramenant la politique américaine à un eugénisme saturé de présupposés biologiques, le régime trumpien renvoie à celui qui a prospéré dans la Grande-Bretagne de la fin du XIXe siècle et s’est enraciné aux États-Unis dans les années 1920, dans les sphères scientifique et publique. Aujourd’hui, la mort est centrale, sous la forme d’un investissement systématique dans l’ÉLIMINATION.

Il n’est pas difficile d’identifier le fil eugéniste qui relie les cibles privilégiées du dédain, du mépris et des animosités de Trump[1]. S’il professe une admiration pour Hitler, prend fait et cause pour Poutine, et adhère à certains principes fascistes plus étroitement qu’il ne le soupçonne lui-même, son programme dévie en réalité vers une orientation plus spécifique que l’on pourrait qualifier avec plus de justesse d’« eugénisme politique », et dont les coupes budgétaires, à l’intérieur comme à l’extérieur des États-Unis, en constituent les mises en œuvre progressives. L’univers qu’il projette est manichéen, hiérarchisé, fondé sur une division radicale entre ceux qui sont voués à prospérer et ceux qui ne font que survivre.

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Ses déclarations publiques empreintes d’un darwinisme social brutal et d’un eugénisme revendiqué s’alignent sur son obsession pour le QI et sur ce fantasme adolescent d’appartenir au centile le plus élevé de l’intelligence humaine – une forme de droit du sang, qu’il attribue à l’héritage génétique d’un oncle professeur au MIT (« Un génie. C’est dans mon sang »), mais plus encore à l’empreinte paternelle : un père profondément acquis aux thèses eugénistes, qui, selon Shannon O’Brien dans son étude consacrée à l’eugénisme en politique américaine, l’initia dès l’enfance à la théorie du pur-sang – l’idée selon laquelle « l’union génétique entre une femme supérieure et un homme supérieur donne naissance à une progéniture supérieure[2] ».

Les cibles de Trump couvrent un spectre d’une ampleur vertigineuse, mais n’ont rien d’exceptionnel. Il ne s’en prend pas exclusivement à des groupes ethniques déterminés – bien que la race et l’ethnicité constituent les piliers de sa vision fantasmée de l’Amérique. Comme le montre avec justesse Shannon O’Brien, il ne s’inscrit pas dans un scénario explicitement nazi, mais prolonge un programme eugéniste typiquement américain, hérité de figures centrales de l’État et perpétué, génération après génération,


[1] J’ai opté pour la traduction L’eugénisme politique de Trump : sur les êtres jetables plutôt que L’eugénisme politique de Trump : les êtres jetables, certes plus fluide et percutante en français, mais moins fidèle à l’intention du titre original (TRUMP’S political EUGENICS : On Disposable Beings). La première formulation est plus réflexive, indique que le texte porte sur une certaine condition, une logique, un régime de traitement des vie, et ouvre l’espace d’une interrogation théorique. La seconde est plus directe, quasi accusatoire, et désigne d’emblée les individus concernés comme une catégorie déjà constituée, figée dans sa monstruosité.

[2] Shannon O’Brien, Eugenics in American Political Life, Palgrave, 2024, p. 77.

[3] Susan M. Schweik, The Ugly Laws : Disability in Public, New York University Press, 2009.

[4] Ann Laura Stoler, Interior Frontiers: Essays on the Entrails of Inequality, Oxford University Press, 2022.

[5] Bertrand Ogilvie, L’Homme Jetable : Essai sur l’exterminisme et la violence extrême, Éditions Amsterdam, 2012.

[6] Ann Laura Stoler, « A Deadly Embrace: Of Colony and Camp », dans Duress: Imperial Durabilities in Our Times, Duke University Press, 2016.

[7] Bernard Harcourt, The Illusion of Free Markets: Punishment and the Myth of Natural Order, Harvard, 2011.

[8] Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, Harcourt Brace & Co, 1951.

[9] Alexis De Tocqueville, Democracy in America, Book 1, Chapter 5, Part III, 1835.

[10] Naomi Klein and Astra Taylor, « The Rise of End Times Fascism », The Guardian, 13 avril 2025.

[11] Marci Shore, « Is this autocracy ? », Telos, 6 mai 2025.

[12] Masha Gessen, « Beware: we are entering a new phase of the Trump era », The New York Times, 28 mai 2025.

Ann Laura Stoler

Anthropologue et historienne, Willy Brandt Distinguished Professor of Anthropology and History à la New School for Social Research

Notes

[1] J’ai opté pour la traduction L’eugénisme politique de Trump : sur les êtres jetables plutôt que L’eugénisme politique de Trump : les êtres jetables, certes plus fluide et percutante en français, mais moins fidèle à l’intention du titre original (TRUMP’S political EUGENICS : On Disposable Beings). La première formulation est plus réflexive, indique que le texte porte sur une certaine condition, une logique, un régime de traitement des vie, et ouvre l’espace d’une interrogation théorique. La seconde est plus directe, quasi accusatoire, et désigne d’emblée les individus concernés comme une catégorie déjà constituée, figée dans sa monstruosité.

[2] Shannon O’Brien, Eugenics in American Political Life, Palgrave, 2024, p. 77.

[3] Susan M. Schweik, The Ugly Laws : Disability in Public, New York University Press, 2009.

[4] Ann Laura Stoler, Interior Frontiers: Essays on the Entrails of Inequality, Oxford University Press, 2022.

[5] Bertrand Ogilvie, L’Homme Jetable : Essai sur l’exterminisme et la violence extrême, Éditions Amsterdam, 2012.

[6] Ann Laura Stoler, « A Deadly Embrace: Of Colony and Camp », dans Duress: Imperial Durabilities in Our Times, Duke University Press, 2016.

[7] Bernard Harcourt, The Illusion of Free Markets: Punishment and the Myth of Natural Order, Harvard, 2011.

[8] Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism, Harcourt Brace & Co, 1951.

[9] Alexis De Tocqueville, Democracy in America, Book 1, Chapter 5, Part III, 1835.

[10] Naomi Klein and Astra Taylor, « The Rise of End Times Fascism », The Guardian, 13 avril 2025.

[11] Marci Shore, « Is this autocracy ? », Telos, 6 mai 2025.

[12] Masha Gessen, « Beware: we are entering a new phase of the Trump era », The New York Times, 28 mai 2025.