La nuit américaine : créer dans un monde crépusculaire
Technique d’illusion au cinéma, la « nuit américaine » permet de tourner en plein jour des scènes censées se dérouler dans l’obscurité. Au-delà de la « magie du cinéma », cet artifice nous dit peut-être quelque chose de l’époque : nous vivons dans un monde tellement éclairé qu’il semble ne plus rien voir, à l’image de la surexposition médiatique d’une Amérique trumpienne qui semble s’enfoncer inexorablement dans l’obscurantisme de la nuit noire…

Alors que sort en France Nouvelle vague, le nouveau film du réalisateur américain Richard Linklater, consacré aux coulisses du tournage d’À bout de souffle de Jean-Luc Godard, cet hommage contemporain venu d’outre-Atlantique résonne comme un sursaut : le geste d’un cinéaste héritier de l’avant-garde du cinéma français, dans les tourments sociétaux des États-Unis de l’ère MAGA, qui tente peut-être de maintenir vivante la flamme d’une expression artistique libre et plus que jamais menacée.
La nuit américaine, au cinéma, c’est d’abord une ruse. Une illusion de ténèbres fabriquée en plein jour, sous l’irradiant soleil hollywoodien. On baisse la lumière au maximum et on glisse un filtre bleu devant l’objectif : les ombres s’estompent, les silhouettes et les visages se redessinent, et voilà qu’apparaît une autre nuit, totalement maîtrisée et factice. Cette technique, née dans les années 1940, a longtemps été un art de l’économie : tourner la nuit coûte cher en éclairage artificiel et en logistique diverse, mais elle peut également être perçue comme une métaphore contemporaine : celle d’un monde qui veut la nuit mais sans son risque, l’obscurité mais sans sa perte, le mystère mais sans sa peur de l’inconnu.
En 1973, François Truffaut fait de cet artifice le titre d’un film manifeste, La Nuit américaine. Film sur la fabrication d’un film, sur la fragilité du tournage, sur la beauté du désordre collectif qui naît autour d’une caméra dans le décor d’une fiction. Truffaut y incarne lui-même Ferrand, un réalisateur insomniaque