Écologie

Nous sauver ?

Sociologue

Il est des enjeux si graves que, pour ne rien dire qui ne puisse être démontré, les chercheurs ne les abordent qu’avec précaution. Mais il ne s’agit pas non plus de faire de la science-fiction : elle ne sait décrire avec précision qu’un monde imaginaire. Non, dans le monde tel qu’il devient, où la réalité s’échappe, nous avons besoin de politique-fiction, ou d’imagination réaliste…

Rien d’étonnant à ce que Musk et ses pairs n’aient qu’un désir, quitter la terre et se mettre sur orbite : est-ce vraiment un rêve, ou n’est-ce pas plutôt leur instinct de fauves qui les fait fuir l’incendie avant qu’il ne les atteigne ? À la nuance près, non négligeable, que ces fauves humains, ce sont eux les pyromanes qui ont allumé les feux qu’ils fuient. Mais qu’en est-il de nous ? De nous tous, les autres, restés dans la jungle, et à vrai dire peu tentés par une vie confinée dans un satellite de luxe hollywoodien…

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Une belle expression, la jungle, pour rappeler que le combat pour la vie n’a cessé de mêler la prédation des uns et la survie des autres, mais aussi que cette survie des prédateurs exige de ne pas faire disparaître les proies dont on se nourrit. Ce point de vue post-darwinien intègre déjà mieux dans la politique de la nature l’ensemble de la vie, géologique, végétale, animale et humaine – et celle de la terre elle-même, désormais –, au lieu de séparer les humains d’un côté, leurs ressources pour vivre de l’autre.

Fuir dans les étoiles ?

La donne a changé. Depuis les temps les plus lointains, la politique s’est jouée entre humains, sur une terre pleine de ressources, livrée à la concurrence pour être exploitée au profit des uns et des autres – et de certains beaucoup plus que d’autres. Cette terre elle-même avait longtemps été respectée par les humains, elle était Gaïa, une alma mater inépuisable, parfois sévère ou terrible, mais immortelle, comme les dieux. L’idée des modernes est récente, de la déconsidérer comme déesse pour en faire une simple matière passive et s’en servir comme d’un réservoir inépuisable. La prise de conscience écologique a avant tout été de réaliser que la terre est elle aussi un être fragile ; elle n’est pas un vaste terrain de football sur lequel jouer entre rivaux et complices humains, elle fait partie du jeu elle-même – et les nombreux signes qu’elle nous envoie pour nous alerter sur son état ont bel et bien provoq


[1] Tout est possible aux USA : il y a là des accélérationistes : oui, oui, nous savons que nous fonçons dans le mur, mais aussi qu’il est trop tard, jouissons donc tant qu’il est temps, vivons le plus vite et de façon le plus dévastatrice possible, tant pis, profitons-en à fond avant de nous écraser… Plus prosaïquement, il est vrai que nos dirigeants ne seront plus là pour constater les désastres qu’ils auront provoqués…

[2] Cela va de Carl Schmitt (Théologie politique, 1922-69), qui insiste sur son arbitraire, à John Dewey (Le Public et ses problèmes, 1927-2001), qui insiste sur sa capacité non pas tant à trouver des solutions qu’à formuler des problèmes communs.

[3] Les points de vue différents de Quinn Slobodian (Le Capitalisme de l’apocalypse, Seuil) et d’Arnaud Orain (Le Monde confisqué, Flammarion), sont tous deux parus en janvier 2025, le premier faisant le minutieux et terrifiant catalogue historique du déploiement d’un capitalisme échappant méticuleusement à toutes les lois pour coloniser le monde, le second faisant une analyse plus duale, de longues phases du capitalisme déployant ce libéralisme débridé et exponentiel, mais d’autres se refermant sur soi et cumulant au contraire les barrières douanières : le second mandat de Trump avait juste commencé !

[4] William James, La volonté de croire, Les Empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 1896-2005.

[5] Joëlle Zask, Quand la forêt brûle, Premier Parallèle, 2019.

Antoine Hennion

Sociologue, Chercheur au Centre de sociologie de l’innovation

Rayonnages

Écologie Sciences

Notes

[1] Tout est possible aux USA : il y a là des accélérationistes : oui, oui, nous savons que nous fonçons dans le mur, mais aussi qu’il est trop tard, jouissons donc tant qu’il est temps, vivons le plus vite et de façon le plus dévastatrice possible, tant pis, profitons-en à fond avant de nous écraser… Plus prosaïquement, il est vrai que nos dirigeants ne seront plus là pour constater les désastres qu’ils auront provoqués…

[2] Cela va de Carl Schmitt (Théologie politique, 1922-69), qui insiste sur son arbitraire, à John Dewey (Le Public et ses problèmes, 1927-2001), qui insiste sur sa capacité non pas tant à trouver des solutions qu’à formuler des problèmes communs.

[3] Les points de vue différents de Quinn Slobodian (Le Capitalisme de l’apocalypse, Seuil) et d’Arnaud Orain (Le Monde confisqué, Flammarion), sont tous deux parus en janvier 2025, le premier faisant le minutieux et terrifiant catalogue historique du déploiement d’un capitalisme échappant méticuleusement à toutes les lois pour coloniser le monde, le second faisant une analyse plus duale, de longues phases du capitalisme déployant ce libéralisme débridé et exponentiel, mais d’autres se refermant sur soi et cumulant au contraire les barrières douanières : le second mandat de Trump avait juste commencé !

[4] William James, La volonté de croire, Les Empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 1896-2005.

[5] Joëlle Zask, Quand la forêt brûle, Premier Parallèle, 2019.