Dominer pollue : les émissions de CO2 comme rapport de pouvoir
Parce qu’elles sont inséparables de la question de l’équité, les discussions sur le réchauffement climatique se confrontent nécessairement, à un moment ou un autre, à la responsabilité des émissions des gaz à effet de serre. Quels critères retenir pour attribuer cette responsabilité ? Faut-il incriminer la masse des consommateurs ou le milliardaire qui se déplace en avion privé ? Si la faute en incombe aux « modes de vie », qui est responsable de ceux-ci ? Quelle est la marge de manœuvre des individus ? Que faire des majors du pétrole, des multinationales de l’automobile, des géants de la chimie ? Si le consensus valide le principe « pollueur-payeur », qui est le pollueur ? Au croisement de la sociologie, de l’histoire, de l’économie, de la climatologie et même de la morale, l’attribution des émissions de CO2 est un enjeu autant politique que scientifique. On voudrait proposer ici une réponse qui fait des émissions de CO2 une forme de domination.

Paru en 2020 dans la revue de l’OFCE, un article collectif[1] valide l’idée qu’il existe une corrélation entre le niveau de revenus des individus et leurs émissions de CO2 en tant que consommateur : « Les émissions des ménages sont tendanciellement croissantes avec le revenu. » Certes, les émissions peuvent être partiellement décorrélées du revenu : un pauvre vivant dans une passoire thermique à 30 km de son travail émettra plus de CO2 qu’un Parisien logé dans un immeuble bien isolé, se déplaçant en vélo et ne voyageant qu’en train. Mais la tendance générale ne fait pas de doute : les 10 % les plus riches émettent chacun entre 2 et 3 fois plus de CO2 que les 10 % les plus pauvres. Même la partie intellectuelle de la bourgeoisie, celle qui se reconnaît dans l’habitus écologique, n’échappe pas à la loi d’airain qui veut que le capital économique soit un facteur mécanique de pollution : « Les diplômés de statut social élevé tendent à consommer plus ‘vert’, mais ils tendent aussi à consommer davantage », écrivent Maël
