Économie

Du métal sans Mittal

historien

Dans la nuit du 27 au 28 novembre, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la nationalisation des actifs français d’ArcelorMittal. Au-delà du symbole, ce vote cristallise un choix : financer sans gouverner une filière stratégique, ou assumer une maîtrise publique de l’acier.

À Dunkerque, la formule a cessé d’être un slogan pour devenir un diagnostic. « Du métal sans Mittal » ne renvoie pas à la fidélité ouvrière à un âge d’or disparu ; elle désigne un présent verrouillé, celui d’une filière stratégique déjà tenue par l’impôt, mais gouvernée comme si elle n’avait de comptes à rendre qu’à un actionnariat transnational.

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Dans la nuit du 27 au 28 novembre 2025, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, par 127 voix contre 41 et 42 abstentions, la proposition de loi n°1950 visant à nationaliser les actifs français d’ArcelorMittal, déposée le 14 octobre et adoptée en commission des finances le 19 novembre dans le cadre d’une niche parlementaire[1].

Le vote ne décide pas d’une entrée inédite de l’État dans la sidérurgie – elle est depuis longtemps largement entamée –, mais il tranche déjà la nature politique de cette présence. Pour la première fois depuis les grandes lois de 1982, l’Assemblée se prononce explicitement pour le transfert à l’État d’un grand groupe industriel, tandis que le gouvernement annonce qu’il utilisera la navette parlementaire et la majorité sénatoriale pour empêcher la mesure d’entrer en vigueur[2]. En creux, c’est bien le sens de l’intervention publique qui se joue : État-béquille chargé d’éponger les pertes d’un capital qui gouverne à distance, ou État-producteur assumant la maîtrise d’un outil devenu structurant pour le pays.

Il faut prendre au sérieux ce que dit un slogan quand il se détache des affiches pour entrer dans la grammaire politique d’un territoire. À Dunkerque, l’acier n’est pas un décor industriel mais une condition matérielle de la vie collective : une économie de l’emploi, un paysage, un air. Le fait qu’un mot d’ordre se formule en négatif – non pas « sauver Mittal » mais « produire sans Mittal » – indique déjà que la crise n’est pas seulement celle d’un site ou d’une conjoncture, mais celle d’une forme de propriété et de commandement.

Un État déjà actionnaire en creux

Prétendre que


[1] Assemblée nationale, Proposition de loi visant à la nationalisation d’ArcelorMittal France afin de préserver la souveraineté industrielle de la France, n° 1950, dépôt le 14 octobre 2025, rapport n° 2123 (commission des finances) et texte adopté en première lecture le 27 novembre 2025 (scrutin public n° 4438).

[2] Public Sénat, audition du président d’ArcelorMittal France devant la commission d’enquête sur les aides publiques, 27 mars 2025, chiffrage détaillé des aides 2023.

[3] Ministère de l’Économie et des Finances, « France 2030 : signature du contrat d’aide soutenant la décarbonation du site d’ArcelorMittal à Dunkerque », 15 janvier 2024 ; Commission européenne, décision d’aide d’État autorisant jusqu’à 850 millions d’euros pour la décarbonation d’ArcelorMittal France, 20 juillet 2023.

[4] Mariana Mazzucato, The Entrepreneurial State, Anthem Press, 2013.

[5] ArcelorMittal France, communiqué du 15 mai 2025 sur un investissement de 1,2 milliard d’euros à Dunkerque ; Le Monde, 30 octobre 2025, sur la réduction du plan initial (un seul four électrique, report du DRI).

[6] Alice Amsden, Asia’s Next Giant: South Korea and Late Industrialization, Oxford University Press, 1989.

[7] Rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’aide publique à la décarbonation d’ArcelorMittal Dunkerque, n° 1581, déposé le 13 juin 2025.

[8] Eurofer, communiqué sur les surcapacités mondiales et la production européenne, 27 novembre 2024.

[9] Commission européenne, Steel and Metals Action Plan, communication du 19 mars 2025.

[10] Michel Aglietta, Robert Boyer et al., travaux de l’école de la régulation sur les régimes d’accumulation et les crises structurelles.

[11] Sénat, commission d’enquête sur les aides publiques aux grandes entreprises, conclusions 2025.

[12] Philippe Mioche, « La sidérurgie française de 1973 à nos jours. Dégénérescence et transformations », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 43, 1994.

Albin Brunet

historien, masterant en histoire transnationale à l’École normale supérieure (Ulm)

Notes

[1] Assemblée nationale, Proposition de loi visant à la nationalisation d’ArcelorMittal France afin de préserver la souveraineté industrielle de la France, n° 1950, dépôt le 14 octobre 2025, rapport n° 2123 (commission des finances) et texte adopté en première lecture le 27 novembre 2025 (scrutin public n° 4438).

[2] Public Sénat, audition du président d’ArcelorMittal France devant la commission d’enquête sur les aides publiques, 27 mars 2025, chiffrage détaillé des aides 2023.

[3] Ministère de l’Économie et des Finances, « France 2030 : signature du contrat d’aide soutenant la décarbonation du site d’ArcelorMittal à Dunkerque », 15 janvier 2024 ; Commission européenne, décision d’aide d’État autorisant jusqu’à 850 millions d’euros pour la décarbonation d’ArcelorMittal France, 20 juillet 2023.

[4] Mariana Mazzucato, The Entrepreneurial State, Anthem Press, 2013.

[5] ArcelorMittal France, communiqué du 15 mai 2025 sur un investissement de 1,2 milliard d’euros à Dunkerque ; Le Monde, 30 octobre 2025, sur la réduction du plan initial (un seul four électrique, report du DRI).

[6] Alice Amsden, Asia’s Next Giant: South Korea and Late Industrialization, Oxford University Press, 1989.

[7] Rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’aide publique à la décarbonation d’ArcelorMittal Dunkerque, n° 1581, déposé le 13 juin 2025.

[8] Eurofer, communiqué sur les surcapacités mondiales et la production européenne, 27 novembre 2024.

[9] Commission européenne, Steel and Metals Action Plan, communication du 19 mars 2025.

[10] Michel Aglietta, Robert Boyer et al., travaux de l’école de la régulation sur les régimes d’accumulation et les crises structurelles.

[11] Sénat, commission d’enquête sur les aides publiques aux grandes entreprises, conclusions 2025.

[12] Philippe Mioche, « La sidérurgie française de 1973 à nos jours. Dégénérescence et transformations », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 43, 1994.