Médias

Pour l’indépendance réelle de l’audiovisuel public

Juriste

La récente mise à pied de Guillaume Meurice par la présidence de Radio France a relancé le débat sur la politisation de l’audiovisuel public et les ingérences du pouvoir politique. Malgré la fin de l’ORTF en 1974, et la création d’une autorité administrative indépendante dans le secteur de l’audiovisuel en 1982, un contrôle diffus subsiste car le pouvoir politique est réticent à mettre en place une gouvernance qui permettrait réellement d’assurer l’indépendance des chaînes publiques.

La récente mise à pied de Guillaume Meurice par la direction de Radio France, ainsi que la suppression annoncée de certaines chroniques de reportages, telles que certaines chroniques de la Tête au Carré ou les reportages sur l’actualité des luttes et mobilisations sociales « C’est bientôt demain », d’Antoine Chao a relancé le débat sur la gestion politique de la grille des programmes de Radio France.

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Cette énième crise de gouvernance, au moment où l’exécutif et la majorité qui le soutiennent présentent à l’Assemblée leur projet de loi, qui doit réformer, une fois de plus, l’audiovisuel public, se traduit par la contestation par les journalistes et les personnels, des choix éditoriaux faits par la direction, accusée de censurer les voix dissidentes au pouvoir politique en place.

Cette crise est le reflet de problèmes qui ne sont pas seulement conjoncturels mais surtout structurels : elle est symptomatique du fait que le pouvoir politique est incapable de couper le cordon ombilical qui le relie au service public audiovisuel depuis sa création, et ce malgré une dizaine de réformes législatives visant, officiellement, à remédier au péché originel de l’audiovisuel public.

Pour comprendre la crise que traverse Radio France, il est donc utile d’analyser l’histoire de la gouvernance de l’audiovisuel public. La création d’une autorité administrative indépendante en 1982 (la Haute autorité, remplacée en 1986 par la Commission Nationale de la Communication et des Libertés, elle-même remplacée en 1989 par le CSA) semble représenter une rupture vis-à-vis de l’ORTF, fortement liée au pouvoir gaulliste et dans lequel le contrôle de l’information se faisait presque officiellement. La nomination du Président des Sociétés par l’autorité indépendante représente incontestablement un progrès, mais un progrès très relatif du fait de la politisation de l’autorité de régulation elle-même et des pressions diffuses par le pouvoir politique.

Olivier Schramek a ainsi récemment admis avoir reçu des pressions de la part de François Hollande pour la nomination du Président de France Télévisions. Les hommes et femmes politiques ne se privent pas d’exercer des pressions directes (mais pas publiques) sur les présidents de chaînes.

Ces pressions, même officieuses, sont évidemment contraires au principe d’indépendance de l’audiovisuel public vis-à-vis du pouvoir politique qui avait été explicité par le Conseil constitutionnel en 1986 à travers une phrase limpide : « Les téléspectateurs et les auditeurs sont les destinataires essentiels de la liberté d’expression proclamée par l’article 11 DDHC. [Ils] doivent être à même de réaliser leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché ».

Une lente indépendantisation, jamais achevée

En 1964, le passage de la RTF à l’ORTF vise à accorder une autonomie véritable au service public audiovisuel par la création d’un Établissement Public Industriel et Commercial, alors qu’il était jusqu’alors géré en régie (gestion directe par l’État). La loi donna notamment l’autonomie financière au service public audiovisuel et supprima l’autorité gouvernementale directe, qu’elle remplaça par la tutelle. Les membres de l’État étaient toutefois encore majoritaires au conseil d’administration et le directeur général, désigné par le gouvernement, était constamment révocable par celui-ci. Le ministre de l’Information continuait de régner, comme sous la RTF, mais par personnes interposées : il n’était plus le « rédacteur en chef du journal télévisé », mais laissait cette tâche à un organisme semi-clandestin, le service de liaison interministérielle pour l’information[1].

Entre 1969 et 1972, à la suite des événements de 1968 et de l’arrivée de Jacques Chaban-Delmas au gouvernement, la loi de 1964 est interprétée de manière libérale. Le poste de ministre de l’Information est supprimé[2] et sont créées deux unités autonomes d’information qui établissent, à défaut d’une introuvable impartialité, une sorte d’équilibre entre soutien et critique au gouvernement en place, et à De Gaulle. Pour la première fois, donc, l’opposition a droit au chapitre dans les émissions d’information, d’autant plus que l’Office applique désormais la règle des trois-tiers pour comptabiliser le temps de parole des invités politiques.

Le statut de 1972 prétend également conférer une certaine indépendance au PDG, en prévoyant que ce dernier est nommé pour trois ans. Cela n’interdit pas la possibilité d’une révocation déguisée[3]. À l’automne 1973, il est en effet mis fin aux fonctions du PDG de l’office, nommé en juillet de l’année précédente. Ce limogeage fait suite au rétablissement du ministère de l’information dans le gouvernement Messmer institué en avril 1973 et s’explique par la « volonté du pouvoir politique de reprendre le contrôle de l’appareil audiovisuel dans la perspective d’élections présidentielles anticipées ». Le ministre chargé de la tutelle reprocha alors à l’office « un manque de neutralité » et estima « agir conformément aux règles légales qui lui confient la responsabilité de veiller à l’observation des obligations de service public »[4].

Le pluralisme interne à l’intérieur de l’office, marqué par la complémentarité entre les deux unités d’information (et par l’expérience Chaban-Desgraupes) se solde par un échec, et par la démission de Chaban-Delmas. Cet échec ouvrira la voie à la libéralisation, ou en d’autres mots, euphémistiques, à la « mise en œuvre du pluralisme externe ». Face à l’État partial, le privé est présenté comme la seule alternative possible, ce qui est extrêmement paradoxal : les pouvoirs publics semblent en effet abdiquer de leur rôle qui devrait être d’assurer la neutralité du service public audiovisuel vis-à-vis d’eux-mêmes.

Loin du mythe, ou du stéréotype qu’on lui accole désormais, l’expérience de l’ORTF se révèle protéiforme et ambivalente : d’un côté inextricablement lié au pouvoir gaulliste et à son instrumentalisation, puis à celle de G. Pompidou, il a aussi permis le développement d’une culture artistique à la télévision[5], ainsi que d’un esprit du service public de l’audiovisuel qui ne s’était pas développé jusque-là. Le syndicat CGT, dans une conférence de presse en 1977 déclara : « Nous ne pleurons pas l’ORTF, mais nous avons goûté la saveur du service public. Nous y avons gagné quelques idées sur la liberté et la responsabilité ».

La loi du 7 août 1974[6] innove de manière radicale en consacrant la gestion privée du service public audiovisuel. L’éclatement de l’office et son remplacement par plusieurs unités autonomes doivent également permettre de favoriser l’exercice des responsabilités au sein de chaque unité. Elle permet de soustraire ces sociétés au contrôle d’un même PDG omnipotent, qui nommerait lui-même à tous les emplois. Si l’un des objectifs officiels de la réforme est de remédier au trop grand contrôle de l’État sur la télévision et la radio publique, cette réforme a en réalité surtout pour objet de moderniser les modes de gestion pour renforcer l’efficience des entreprises. La loi du 7 août 1974 marque donc un tournant dans l’histoire de la télévision, mais ce tournant irréversible est économique plus que politique, ce qui démontre encore l’inappétence des gouvernements successifs envers une réforme permettant de soustraire la télévision à son contrôle.

En 1982, un après l’élection de François Mitterrand, la loi sur la communication audiovisuelle proclame la liberté de communication (qui faisait partie des propositions du programme commun) et abolit le monopole d’État de la programmation par l’ouverture à l’initiative privée.

La loi de 1982 crée la Haute autorité de la communication audiovisuelle, la première autorité indépendante dans le secteur de l’audiovisuel, qui a désormais la compétence de nommer les présidents des Sociétés nationales de programmes ainsi que trois autres des douze membres de leur Conseil d’administration. La loi de 1982 bouleverse aussi la composition du Conseil d’administration des sociétés nationales de programmes. Ceux-ci comprennent désormais quatre membres désignés par la Haute autorité, dont le président, deux parlementaires désignés respectivement par le Sénat et par l’Assemblée nationale ; deux administrateurs désignés par le Conseil national de la communication audiovisuelle ; deux représentants du personnel de la société ; deux administrateurs représentants l’État actionnaire.

Cette nouvelle composition, qui rend pour la première fois minoritaires les représentants de l’État au sein du Conseil d’administration doit être remise dans son contexte. L’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981 s’accompagne en effet d’une réflexion profonde sur l’amélioration de la citoyenneté au sein des entreprises[7], et en particulier, dans les entreprises publiques, pour éviter l’étatisation de la gouvernance, et permettre un « nouvel espace de démocratie » au sein de celles-ci. Pour la première fois, également, les directeur(rice)s des Sociétés Nationales de Programme ne sont pas nommées par le pouvoir politique mais par l’autorité administrative indépendante.

Le bilan des premières années est assez positif mais la perspective des élections de 1986 pour lesquelles la majorité se sait menacée rend les choses beaucoup plus difficiles. La nomination du président d’Antenne 2, Jean-Claude Heberlé est marquée par l’intervention directe du gouvernement pour imposer son candidat. Le renouvellement de trois des membres de la Haute autorité en 1984 est-elle aussi marquée du sceau de la politisation. L’« aspect le plus surprenant, écrit un auteur, est que cette institution soit résolument affaiblie, voire condamnée, par ses propres fondateurs »[8]. Analysée à la lumière de l’ORTF et de l’histoire qui suivra, ce fait n’apparaît pas surprenant mais plutôt représentatif de la difficulté qu’ont les femmes, les hommes et les partis politiques à renoncer à l’influence qu’ils pourraient avoir sur un média si important pour la formation de l’opinion publique.

L’arrivée au pouvoir de Jacques Chirac avec les élections législatives de 1986 marquera l’adoption de la fameuse Loi Léotard, qui régit toujours notre système audiovisuel aujourd’hui. La loi Léotard remplace la Haute autorité par le Conseil National de la Communication et des Libertés[9], dont la composition est plus éclectique. Elle rétablira également la majorité relative de l’État au conseil d’administration en supprimant le Conseil national de la communication audiovisuelle, institution composite qui nommait deux membres sous l’empire de la loi de 1982.

Le 3 décembre, les cinq présidents des sociétés de télévision publiques sont renouvelés sans que le mandat des présidents précédents ne soit arrivé à terme[10]. Les nouveaux présidents sont tous liés fortement avec le pouvoir politique, malgré leurs compétences professionnelles reconnues[11]. En septembre 1987, on assiste à un jugement assassin de François Mitterrand, alors Président de la République : « La CNCL ne fait rien qui puisse inspirer ce sentiment qui s’appelle le respect ». Dans sa « lettre à tous les Français », avant l’élection de 1988, le Président de la République proposera expressément une réforme pour « introduire dans [notre] constitution, au même titre que le Conseil supérieur de la magistrature et le Conseil constitutionnel, et au même rang que les autres pouvoirs, l’organisme dont notre démocratie a grand besoin pour assurer le pluralisme, la transparence et la cohésion de notre système audiovisuel ».

Une loi de 1989 créa donc le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel.

Sous couvert d’efficience économique, la repolitisation des chaînes publiques

Les années 2000 marquent une certaine rupture avec la dynamique enclenchée à la fin des années 1990.

Jusqu’à la loi du 5 mars 2009, le président-directeur général de France Télévisions était nommé par le CSA en vertu de la procédure prévue par la Loi Léotard, issue de sa version de 1989. L’audiovisuel public, soumis à la nouvelle concurrence avec les chaînes privées, connût paradoxalement une certaine stabilité entre les années 1990 et 2010, stabilité remise en cause sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Au début de son mandat, Nicolas Sarkozy annonça son intention de réformer l’audiovisuel public et de le mettre en conformité avec les exigences technologiques. Il commanda le rapport « Copé » qui proposa d’écarter la nomination par le CSA au profit d’une cooptation par le Conseil d’administration au sein de ses membres. Cette solution semblait logique, car c’est celle qui avait été retenue dans la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public.

Dès la réception du rapport, le Président Sarkozy annonça sa décision de ne pas suivre les recommandations du Rapport Copé et de rajouter le Président de France Télévisions au nombre des emplois ou fonctions auxquels fait référence l’article 13 de la Constitution, nouvellement modifié, et en vertu desquels les commissions permanentes de l’Assemblée Nationale et du Sénat peuvent mettre leur véto à la nomination par le Chef de l’État. En 2010, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans ses deux avis consultatifs concernant la loi organique relative au Défenseur des droits affirmait sans ambages que « les gages d’indépendance offerts par cette procédure de l’article 13 sont insuffisants »[12].

L’idée de Nicolas Sarkozy de confier le pouvoir de nomination du Président-Directeur général de l’entreprise publique d’audiovisuel au Président de la République semblait donc assez peu encline à assurer une plus grande indépendance du secteur public vis-à-vis du pouvoir exécutif. C’est la raison pour laquelle François Hollande réattribuera, dès son arrivée au pouvoir, le pouvoir de nomination à l’autorité administrative indépendante. Le 15 novembre 2013 est adoptée la loi intitulée significativement Loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public, qui redonne au CSA la compétence de nomination de France Télévisions et Radio France.

Le 24 janvier 2013, François Hollande nomme Olivier Schrameck, ancien directeur de cabinet du Premier ministre socialiste Lionel Jospin de 1997 à 2002 à la présidence du Conseil, et ce en dépit du fait qu’il n’a aucune compétence particulière dans ce domaine de l’audiovisuel. Il peut sembler étrange que la désignation des autres membres du CSA soit soumise à des conditions de compétences et d’expérience, tandis que celle du Président n’y est pas soumise. Le 23 avril 2015, le Conseil réuni en assemblée plénière nomme Delphine Ernotte présidente de France Télévisions, bien que celle-ci n’ait, comme Olivier Schrameck, aucune expérience dans le secteur de l’audiovisuel, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 47-4 de la loi Léotard[13]. La régularité de la procédure ayant conduit à la nomination de D. Ernotte est par ailleurs contestée par de nombreux acteurs du secteur et fait même l’objet de plusieurs recours devant le Conseil d’État, qui les rejettera par un arrêt en date du 3 février 2016[14].

Dépouillé de la compétence de nomination du Président de la Société qui en droit commun des sociétés leur reviendrait, le Conseil d’administration perd une part substantielle de son autorité vis-à-vis des Présidents. L’aménagement des pouvoirs du Conseil d’administration favorise l’affaiblissement de leur rôle de surveillance, leur déresponsabilisation et la politisation de la gestion. Ce processus laisse de fait un pouvoir quasi absolu aux Présidents des chaînes, qui nomment et révoquent aux emplois stratégiques et qui prennent parfois les décisions importantes sans même en référer aux membres du Conseil. C’est ainsi qu’en 1995, Jean-Pierre Elkabach, alors président de France Télévisions, « débauche » Jean-Luc Delarue de TF1, sur la base d’un contrat illégal. Ce dernier touchait un double salaire : il est rémunéré par France Télévisions, mais également par sa société de production. Xavier Gouyou-Beauchamps, alors président de France 3, chaîne sur laquelle sont diffusées les émissions de Jean-Luc Delarue n’était absolument pas au courant de ces contrats, tout comme le Conseil d’administration de France Télévisions qui avait concédé au président-directeur général une délégation pratiquement illimitée de compétence, dont la légalité paraît discutable.

L’opacité des prises de décision est susceptible de renforcer la politisation de la gouvernance et donc des choix éditoriaux. Puisque les Présidents n’ont que très peu de compte à rendre à leur Conseil d’administration, il est logique qu’ils se sentent légitimes pour imposer des décisions éditoriales qui vont à l’encontre des missions de la station, mais qui leur ont été demandées par le pouvoir politique, à qui ils doivent peut-être leur position.

On assiste alors à un paradoxe. La concentration de la gestion de l’entreprise dans les mains du Président devait renforcer l’efficience de ladite gestion, et surtout de la gestion budgétaire. Pourtant, dans les faits, c’est bien le contraire qui semble advenir : la concentration de la gestion dans les mains du Président permet d’utiliser les deniers publics sans réel contrôle par son conseil d’administration, une pratique qui a été pointée du doigt par la Cour des Comptes.

Les arguments relatifs à l’efficience ont été également utilisés lors des réformes de la RAI en Italie et de la BBC. En Italie, la loi du 28 décembre 2015 avait pour « double objectif de rendre la RAI plus efficiente et plus autonome du contrôle politique, avec pour but d’accentuer la fonction sociale du service public »[15]. Cette loi réformait la composition du Conseil d’administration et renforçait les pouvoirs de l’administrateur délégué, au nom de l’efficience. Elle a finalement permis à Giorgia Meloni de nommer de façon indirecte le Président de la RAI et de s’assurer un certain contrôle – diffus – sur les contenus. Le 25 avril dernier, jour de la fête de la libération en Italie, la direction de la RAI a censuré le discours d’Antonio Scurati, qui faisait un rapprochement entre la période fasciste de Mussolini et la période actuelle.

L’ingérence des pouvoirs publics dans la gestion de l’audiovisuel public en France, en Italie et au Royaume-Uni illustre les paradoxes de la théorie politique néo-libérale. Celle-ci prône les vertus du marché – même dans le domaine de la culture, et le retrait de la personne publique des sphères autres que régaliennes. Lorsqu’ils sont au pouvoir, les défenseurs de la théorie néo-libérale adoptent pourtant une attitude dirigiste, centralisatrice, et autoritaire qui fait fi des résultats du marché qu’ils disaient prôner. Ce fût le cas lorsque Margaret Thatcher tenta de museler la BBC, à qui elle reprochait sa trop grande « politisation », c’est-à-dire le fait de ne pas prendre partie explicitement pour son parti.

C’est le cas en ce moment, à Radio France, où malgré les excellentes audiences de l’émission « C’est encore nous », celle-ci fût déprogrammée de la grille de la semaine l’année passée. Rétrogradée le dimanche soir, elle double les audiences de l’émission précédente sur la même case mais est toujours menacée de coupes budgétaires visant ce que les auditeurs aiment le plus, les sketches collectifs, laissant penser que l’opinion des auditeurs, et donc le « marché de l’audience » ne compte absolument pas dans les choix éditoriaux.

Nous ne sommes plus au temps de la RTF durant lequel les titres du Journal Télé étaient directement contrôlés par le ministère de l’Information. Toutefois, le contrôle diffus des pouvoirs publics (et des hommes et femmes politiques en général) existe toujours. Les différentes réformes qui ont pour but officiel de renforcer l’efficience et la compétitivité des chaînes publiques ont pu avoir pour conséquence indirecte de renforcer également les contrôles des pouvoirs publics sur les médias publics.

Le Conseil constitutionnel l’a rappelé en 2022 : l’indépendance de l’audiovisuel public concourt à la liberté de communication. Il est évident que la suppression de la redevance va renforcer l’efficacité des pressions politiques sur les présidents de chaîne, quand bien même ceux-ci ne seraient pas acquis à la cause gouvernementale. Plus que l’efficience des chaînes de télévision et de radio – but affiché de la prochaine réforme de l’audiovisuel public, il est donc urgent d’adopter un mode de gouvernance qui garantisse l’indépendance effective des décisionnaires de l’audiovisuel public vis-à-vis du pouvoir politique.

Un tel mode de gouvernance doit passer par redonner des pouvoirs décisionnels réels à un conseil d’administration dans lequel l’État n’est pas majoritaire, et dans lequel les représentants du personnel et des journalistes sont assez nombreux. Le Président des sociétés devrait être élu par ce conseil d’administration, ou nommé par le CSA avec un droit de « véto » de la rédaction sur celui-ci.

Du fait de la multiplication des sources d’information, de la multiplication des sites relatant des « fake news », l’audiovisuel public doit continuer d’établir un lien de confiance entre les citoyens et l’information qu’il produit, et cela passe par un mode de gouvernance transparent et indépendant du gouvernement tout comme des pouvoirs privés.


[1] Michel Bouissou, « La réforme de la radio-télévision et la notion de service public », RDP, 1972, p. 11.

[2] André De Laubadère, Traité élémentaire de droit administratif, LGDJ, 3ème édition, 1971.

[3] Ibid.

[4] Claude Courvoisier, « La radiodiffusion-television française après l’office », AJDA, 1975, p. 277.

[5]« J’ai compris grâce à vous que la poésie n’était pas l’affaire de quelques snobs mais appartenait à tout le monde » écrit un ouvrier à l’ORTF en 1956, à propos d’un récital de poésie, message retranscrit dans L’Humanité Dimanche, cité par Jacques Bourdon, p 11.

[6] Claude Courvoisier, « La radiodiffusion française après l’office », AJDA, 1975 p. 277 ; Jacques Chevallier, La radio-télévision française entre deux réformes, LGDJ, 1975.

[7] Ce mouvement de démocratisation des relations de travail a été impulsé par le Rapport Auroux (Jean Auroux, « Les droits des travailleurs : Rapport au président de la république et au premier ministre », La Documentation française, septembre 1981), qui promouvait « une démocratie économique fondée sur de nouvelles relations du travail et sur l’élargissement des droits des travailleurs ». Ce rapport est suivi de l’adoption de quatre lois, bouleversant profondément le code du travail : la loi n° 82-689 di 4 aout 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, la loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, de la loi n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits du travail, et enfin de la loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 relative aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ces lois s’appuyaient sur l’idée que l’amélioration des conditions de travail des salariés devaient non pas brider, mais stimuler les initiatives individuelles et collectives, et améliorer de ce fait l’efficience économique des entreprises. Voir Antoine Jeammaud, « Les lois Auroux : plus de droit ou un autre droit ? », Critiques de l’économie politique, 1983, nº 23/24, p 228 ; Jean-Claude Javillier, Les réformes du droit du travail depuis le 10 mai 1981, LGDJ, 1982 ; Dimitri Weiss, Les relations du travail, Dunod, 1983, 5èd.

[8] Agnès Chauveau, « La voie institutionnelle de l’indépendance. Les instances de régulation en France », Le temps des médias, 2009/2, p. 105.

[9] Ibid.

[10] Ibid, p. 116.

[11] Claude Contamine et René Han, respectivement nommés à Antenne 2 et France 3, ont fait partie du RPR. Jean Claude Michaud, nommé à RFO, a fait partie du cabinet de Peyrefitte, Roland Faure, nommé à Radio France est un ancien directeur de l’Aurore.

[12] CNCDH, « Avis sur le Défenseur des droits », 30 sept. 2010, réitérant son avis de février 2010 cité par Lucie Sponchiado.

[13] « Les présidents de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France sont nommés pour cinq ans par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, à la majorité des membres qui le composent. Ces nominations font l’objet d’une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d’expérience ». La loi ne précise pas quelle doit être la nature des compétences et de l’expérience requise, ce sur quoi s’appuiera le Conseil d’État pour rejeter les recours.

[14] CE, Syndicat national des professionnels de la communication et de l’audiovisuel CFE-CGC et autre, nº 390842, 3 février 2016.

[15] Motifs de la loi cités par Raffaella De Laurentiis.

Pauline Trouillard

Juriste, Enseignante-chercheuse en droit des médias à l’IODE (Université de Rennes)

Notes

[1] Michel Bouissou, « La réforme de la radio-télévision et la notion de service public », RDP, 1972, p. 11.

[2] André De Laubadère, Traité élémentaire de droit administratif, LGDJ, 3ème édition, 1971.

[3] Ibid.

[4] Claude Courvoisier, « La radiodiffusion-television française après l’office », AJDA, 1975, p. 277.

[5]« J’ai compris grâce à vous que la poésie n’était pas l’affaire de quelques snobs mais appartenait à tout le monde » écrit un ouvrier à l’ORTF en 1956, à propos d’un récital de poésie, message retranscrit dans L’Humanité Dimanche, cité par Jacques Bourdon, p 11.

[6] Claude Courvoisier, « La radiodiffusion française après l’office », AJDA, 1975 p. 277 ; Jacques Chevallier, La radio-télévision française entre deux réformes, LGDJ, 1975.

[7] Ce mouvement de démocratisation des relations de travail a été impulsé par le Rapport Auroux (Jean Auroux, « Les droits des travailleurs : Rapport au président de la république et au premier ministre », La Documentation française, septembre 1981), qui promouvait « une démocratie économique fondée sur de nouvelles relations du travail et sur l’élargissement des droits des travailleurs ». Ce rapport est suivi de l’adoption de quatre lois, bouleversant profondément le code du travail : la loi n° 82-689 di 4 aout 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, la loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, de la loi n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits du travail, et enfin de la loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 relative aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ces lois s’appuyaient sur l’idée que l’amélioration des conditions de travail des salariés devaient non pas brider, mais stimuler les initiatives individuelles et collectives, et améliorer de ce fait l’efficience économique des entreprises. Voir Antoine Jeammaud, « Les lois Auroux : plus de droit ou un autre droit ? », Critiques de l’économie politique, 1983, nº 23/24, p 228 ; Jean-Claude Javillier, Les réformes du droit du travail depuis le 10 mai 1981, LGDJ, 1982 ; Dimitri Weiss, Les relations du travail, Dunod, 1983, 5èd.

[8] Agnès Chauveau, « La voie institutionnelle de l’indépendance. Les instances de régulation en France », Le temps des médias, 2009/2, p. 105.

[9] Ibid.

[10] Ibid, p. 116.

[11] Claude Contamine et René Han, respectivement nommés à Antenne 2 et France 3, ont fait partie du RPR. Jean Claude Michaud, nommé à RFO, a fait partie du cabinet de Peyrefitte, Roland Faure, nommé à Radio France est un ancien directeur de l’Aurore.

[12] CNCDH, « Avis sur le Défenseur des droits », 30 sept. 2010, réitérant son avis de février 2010 cité par Lucie Sponchiado.

[13] « Les présidents de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France sont nommés pour cinq ans par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, à la majorité des membres qui le composent. Ces nominations font l’objet d’une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d’expérience ». La loi ne précise pas quelle doit être la nature des compétences et de l’expérience requise, ce sur quoi s’appuiera le Conseil d’État pour rejeter les recours.

[14] CE, Syndicat national des professionnels de la communication et de l’audiovisuel CFE-CGC et autre, nº 390842, 3 février 2016.

[15] Motifs de la loi cités par Raffaella De Laurentiis.