Erving Goffman,
Chicago 1950
Voici une anecdote à propos d’Erving Goffman[1]. Ses ouvrages, à eux seuls, ne permettent pas de comprendre Goffman entièrement. Je suis probablement l’une des désormais rares personnes qui se souviennent encore de lui pour l’avoir connu personnellement. Cette anecdote remonte à une période proche de la fin de sa vie, lorsqu’il travaillait à Las Vegas, dans le Nevada, où il avait endossé le rôle – le travail, en réalité – d’un croupier de blackjack. Et, de fait, il distribuait des cartes de blackjack pour observer les gens qui s’adonnaient aux jeux d’argent, observations qu’il n’a jamais été en mesure de consigner pleinement.

Voici l’histoire qu’il m’a racontée. Il vivait dans une sorte de résidence comme il y en a un certain nombre à Las Vegas, semblable à un motel mais qui est en réalité un immeuble d’appartements : un bâtiment d’un étage divisé en une série de petits appartements donnant sur une cour centrale. La plupart des gens qui vivaient là travaillaient dans les casinos comme croupiers ou serveuses, et il y avait aussi quelques musiciens. Il pensait que j’apprécierais cette histoire, ayant été, moi-même, un temps musicien.
Il m’a raconté qu’un jour un de ses voisins musiciens avait fait une crise psychotique. Il s’était précipité dans la cour centrale, nu comme un ver, en criant et en hurlant des propos inintelligibles, tandis que ses amis essayaient, désemparés, de le calmer. Le gérant de l’immeuble avait déjà appelé la police pour qu’elle s’occupe du problème, alors Erving a observé la situation, il l’a évaluée, puis il s’est dirigé vers l’homme qui faisait cette crise psychotique et lui a dit : « Écoute, la police va arriver. Quand ils seront là, ils vont te poser des questions. Ils vont te demander si cela t’est déjà arrivé. Je ne sais pas si c’est le cas ou non, mais tu réponds que non, ça ne t’es jamais arrivé. Ils vont également te demander si tu es en bonne santé et tu réponds non, que tu ne te sens pas bien depuis plusieurs jours. Que c&r