Maylis de Kerangal à l’œuvre
Le roman de Maylis de Kerangal, Un monde à portée de main, porte en son titre comme en son thème la promesse d’un art poétique. La main du peintre, en l’occurrence peintre en trompe-l’œil, le métier choisi par son héroïne Paula Karst, fait idéalement écho à celle de l’écrivain, les linéaments de l’un calquant les lignes de l’autre. Il est donc tentant de voir dans la fiction le prétexte idéal à un manifeste esthétique, au moment où son œuvre, ayant atteint l’apogée littéraire et critique avec Réparer les vivants, se trouve à ce point exact et vertigineux où la liberté de création peut être associée à la pleine maîtrise.

Le livre tient évidemment cette promesse et les parallèles entre l’art de tromper l’œil et celui de mentir vrai ne manquent pas, à commencer par cette faculté, dans les deux cas, de « produire des images » ; mais c’est ailleurs que le roman puise sa force, et se hisse par-dessus ce qu’on attend de lui.
Reconnaître
Le fil conducteur en est le trajet de son personnage principal, suivi depuis sa jeunesse étudiante et sa décision impulsive d’aller apprendre la peinture en trompe-l’œil à l’atelier de la rue du Métal, à Bruxelles. Ici elle fait la connaissance des deux autres personnages, Kate et Jonas. On la suivra dans ses pérégrinations, Moscou, Rome, jusqu’à son ultime chantier, la réplique de Lascaux IV, dans un déroulé d’aventures et de rencontres qui tiennent à la fois du roman d’apprentissage, de la série télévisée et du roman d’amour – où l’auteure, donc, s’amuse avec les références qui lui sont contemporaines et naturelles, avec en point de fuite et en référence Ana Karénine de Tolstoï que son héroïne entreprend de lire. Le lecteur familier des romans de Kerangal retrouvera ses marques les plus personnelles : l’attention à la matérialité du travail, l’inscription des corps et des gestes dans la réalité la plus concrète, le goût des mots qui claquent et des signes faits par le réel, dans ses moindres détails (marques, titres, langues étrangères,