Altrofiction – sur Deux vies d’Emanuele Trevi
Sous les cieux de l’amitié
Parce que c’était elle, parce que c’était lui
De l’amitié
L’altrofiction ou l’écriture de l’amitié
Emanuele Trevi, Deux Vies.
À l’heure où l’écriture de soi et l’autofiction sont consacrées par l’institution, Emanuele Trevi, italien et romain, poursuit un chemin inverse. Il écrit des vies. « Écrire des vies » : l’expression est curieuse quand on y réfléchit, mais elle est juste. Car il n’écrit pas des biographies, encore moins des biopics (terme aussi polluant que le plastique). Il n’écrit pas non plus des vies autres ou étrangères. Il propose des portraits de personnes qui ont disparu, dont il a été proche et dont il partage le goût pour les lettres et les arts. Des personnes qui ont créé des nœuds dans la fibre du bois dont il est composé. Ce faisant, il a inventé un genre, et ce genre, nous l’appellerons altrofiction.

Prononcez le mot en roulant le « r » et imaginez que vous êtes à Rome à la fin du XXe siècle, ou, peut-être, au début du XXIe siècle. Les dates importent peu à Emanuele Trevi. Il en donne, évidemment, à titre de repères, de commodité, pour situer les êtres dont il croque les traits les plus essentiels à ses yeux, des hommes ou des femmes qu’il arrache au temps et à l’atonie sans fin de la mort pour les relancer sur les chemins escarpés de la vie. Leur offre-t-il un peu d’éternité ? Un peu, oui, de ces paillettes à la permanence fragile que donne la page ou l’écrit.
Dans Quelque chose d’écrit (Actes-Sud, 2013), Emanuele Trevi faisait revivre Laura Betti, amie de Pasolini au tempérament difficile et acharné. Dans Songes et Fables (Actes-Sud, 2020), il dessinait les vies d’Arturo Patten, photographe, de Cesare Gaboli, critique littéraire, et d’Amelia Rosselli, poétesse. Tous romains d’adoption ou de naissance, tous morts, tous légèrement à l’écart de la norme, sur-sensibles, ou écorchés, ou épris de beauté.
Dans Deux vies, les deux êtres à qui Emanuele Trevi fait cadeau de son intelligence et de sa plume sont deux