Théâtre

Adieu au postmodernisme – sur Rivage à l’abandon… de Matthias Langhoff

Dramaturge

Cinquante ans après y avoir montré sa première création en France, c’est encore au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers que Matthias Langhoff propose une nouvelle mise en scène de ce même auteur, qui aura structuré toute son œuvre : Heiner Müller. Et, par un pied de nez subtilement ironique, il pointe la distance chronologique de la pièce, de la figure de son auteur, et probablement la sienne, perçues comme les produits d’un XXe siècle qui semble bien lointain en situant son spectacle… au musée.

L’impression avait été celle de voir surgir une pyramide maya au milieu de la jungle mexicaine. C’était au mois de mai dernier dans la Grande Halle de la Villette où avait réapparu Gloucester Time / Matériau-Shakespeare – Richard III de Matthias Langhoff, un des spectacles-phares de la décennie 1990[1]. Une telle reprise paraissait parfaitement improbable.

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Si Langhoff lui-même, après avoir écrit pendant trente-cinq ans plusieurs pages de l’histoire du théâtre européen qui rendent bien des volumes inutiles, peinant désormais à trouver des producteurs, semblait perdu de vue dans le paysage théâtral français, l’esthétique dont il fut le grand représentant qu’on dira, rapidement, de la déconstruction, mais qu’on devrait dire, plus exactement, du remontage, et qui trouva son apothéose dans une fin-de-siècle aux allures d’ère du soupçon qui basculait dans on-ne-sait-que-trop-bien-quoi aujourd’hui, paraissait, après l’intervalle d’une génération entière, usée, d’une part, par des épigones qui l’ont réduite à un principe de dérision dominateur qui ne fait que consacrer le triomphe de l’équivalence générale et rattrapée, d’autre part, par le retour du refoulé des grands récits et de la continuité rassurant une génération montante à qui le futur appuie sur les yeux, cette esthétique autrefois si fertile semblait si foncièrement étrangère à nos années 20 qu’on avait plutôt envie de la laisser pour morte.

C’est donc avec beaucoup de circonspection qu’on s’était rendu à ce Matériau-Shakespeare aux allures de réédition de luxe post-mortem, et ce fut comme une immense respiration de découvrir que les rouages de cette incroyable machine à produire du théâtre, à tout questionner et réinventer à la fois, tournaient toujours à plein régime et pas du tout à vide, sans un gramme de poussière ou de mauvaise graisse. Se rappelait alors à nous, écrasant les désillusions, les dévoiements, l’usure du regard, ce qu’avaient été les vrais standards, aiguisés, nets, et prodigieusement


[1] Créé au Festival d’Avignon, Chapelle des Pénitents blancs, le 8 juillet 1995 ; reprise par Marcial di Fonzo Bo et Frédérique Loliée, Comédie de Caen, 13 septembre 2012 ; tournée à L’Archipel, Scène nationale de Perpignan, 7 et 8 mars 2023.

[2] Le Commerce de pain de Bertolt Brecht, 1er mars 1972.

[3] Rivage à l’abandon Matériau-Médée Paysage avec Argonautes, trad. J. Jourdheuil et H. Schwarzinger, in Heiner Müller, Germania Mort à Berlin et autres textes, Éditions de Minuit, 1985.

[4] D’abord dans Medea, opéra de Gavin Bryars mis en scène par Bob Wilson (Opéra de Lyon, 23 octobre 1984), pour dans Le Cas Müller II, mis en scène de Jean Jourdheuil et Jean-François Peyret (Festival d’Avignon, cloître des Carmes, 10 juillet 1991), puis dans Medeamaterial de Pascal Dusapin, mis en scène d’André Wilms (La Filature de Mulhouse, 23 septembre 2000), puis dans une infinité de montages, stages, citations, etc.

[5] Festival d’Avignon, chapelle des Pénitents blancs, 8 juillet 2002 ; voir : Valérie Dréville, Face à Médée, journal de répétitions, Acte Sud, 2018.

[6] Verkommenes Ufer Medeamaterial, Landschaft mit Argonauten, Schauspielhaus Bochum, 1er avril 1983.

[7] Heiner Müller, Guerre sans bataille, vie sous deux dictatures, L’Arche éditeur, 1996.

[8] Les citations entre parenthèses sont extraites des deux volumes de « Textes et entretiens » : Erreurs choisies et Fautes d’impression, L’Arche éditeur, 1988 et 1991.

[9] En particulier par les spectacles composites signés Jean-François Peyret/Jean Jourdheuil, entre 1983 et 1991 : Heiner Müller -De l’Allemagne, Paysage sous surveillance, La Route des chars et trois volets du Cas Müller.

[10] Voir le témoignage d’une spectatrice encore sous le choc in Odette Aslan (dir.), Langhoff, Les Voies de la création théâtrale vol. 19, CNRS éditions, 1994, p.111-112

David Tuaillon

Dramaturge, Critique

Notes

[1] Créé au Festival d’Avignon, Chapelle des Pénitents blancs, le 8 juillet 1995 ; reprise par Marcial di Fonzo Bo et Frédérique Loliée, Comédie de Caen, 13 septembre 2012 ; tournée à L’Archipel, Scène nationale de Perpignan, 7 et 8 mars 2023.

[2] Le Commerce de pain de Bertolt Brecht, 1er mars 1972.

[3] Rivage à l’abandon Matériau-Médée Paysage avec Argonautes, trad. J. Jourdheuil et H. Schwarzinger, in Heiner Müller, Germania Mort à Berlin et autres textes, Éditions de Minuit, 1985.

[4] D’abord dans Medea, opéra de Gavin Bryars mis en scène par Bob Wilson (Opéra de Lyon, 23 octobre 1984), pour dans Le Cas Müller II, mis en scène de Jean Jourdheuil et Jean-François Peyret (Festival d’Avignon, cloître des Carmes, 10 juillet 1991), puis dans Medeamaterial de Pascal Dusapin, mis en scène d’André Wilms (La Filature de Mulhouse, 23 septembre 2000), puis dans une infinité de montages, stages, citations, etc.

[5] Festival d’Avignon, chapelle des Pénitents blancs, 8 juillet 2002 ; voir : Valérie Dréville, Face à Médée, journal de répétitions, Acte Sud, 2018.

[6] Verkommenes Ufer Medeamaterial, Landschaft mit Argonauten, Schauspielhaus Bochum, 1er avril 1983.

[7] Heiner Müller, Guerre sans bataille, vie sous deux dictatures, L’Arche éditeur, 1996.

[8] Les citations entre parenthèses sont extraites des deux volumes de « Textes et entretiens » : Erreurs choisies et Fautes d’impression, L’Arche éditeur, 1988 et 1991.

[9] En particulier par les spectacles composites signés Jean-François Peyret/Jean Jourdheuil, entre 1983 et 1991 : Heiner Müller -De l’Allemagne, Paysage sous surveillance, La Route des chars et trois volets du Cas Müller.

[10] Voir le témoignage d’une spectatrice encore sous le choc in Odette Aslan (dir.), Langhoff, Les Voies de la création théâtrale vol. 19, CNRS éditions, 1994, p.111-112