Numérique

Sciences Po a eu raison d’interdire ChatGPT

Sociologue

Le forçage du débat public sur l’IA par l’offre gratuite de conversation avec ChatGPT semble abaisser toute vigilance quant à l’opération marketing ainsi en cours qui vise à promouvoir une adoption de fait au nom de l’Innovation indiscutable.

Sciences Po n’a pas besoin que l’on vole à son secours et je n’ai pas l’habitude de faire des plaidoyers pour défendre mon institution mais quand mon école prend une initiative justifiée comme l’interdiction de l’usage de ChatGPT par les élèves, je ne peux que m’en réjouir (sans avoir été pour quoi que ce soit dans cette décision) pour mieux débusquer les arguments des libertariens (qui s’ignorent parfois).

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Chat GPT n’a rien d’une innovation radicale puisqu’elle prolonge tout ce que l’on sait sur les LLM (Large Language Models) et que ses applications ont été déjà développées chez Google (à partir de son architecture de transformeurs, LaMDA, GLaM, Pathways) et chez Meta (OPT-175B)….qui se sont abstenus de les mettre dans le public (Meta a retiré Galactica en trois jours en Novembre 2022). Voilà qui devrait nous intriguer. Certes, on peut dire qu’il s’agit seulement pour ces plateformes d’éviter des déboires réputationnels tant que l’on ne peut pas totalement contrôler la production de ces agents conversationnels fondés sur des algos dits transformeurs, toujours incapables de distinguer le vrai du faux par exemple.

Mais pourtant, on ne va pas leur reprocher pour une fois de savoir se retenir, d’y réfléchir à deux fois, de différer, bref, tout ce qui construit du désir et qui permet de sortir de la dictature du passage à l’acte. Car c’est bien ce que fait Open AI, un passage à l’acte, en mettant son service à disposition du public pour prendre position de premier entrant, pour préempter l’avenir selon ses propres termes ou pour faire un coup réputationnel (très réussi). Or les firmes californiennes nous ont déjà fait systématiquement le coup du passage à l’acte, elles qui sont gouvernées, comme tout l’internet, par le rough consensus et le running code, devise de John Perry Barlow dans son manifeste pour l’indépendance du cyberespace (1996). Eh bien il faut le dire : non ! le cyberespace n’est en rien indépendant, et ne doit pas le devenir, même si les année


Dominique Boullier

Sociologue, Professeur à Sciences Po (Paris), chercheur au Centre d'études européennes et de politique comparée (CEE)

Mots-clés

IA