Pour une anthropologie publique
La question de « l’intellectuel » n’est devenue un sujet pour les chercheurs qu’assez récemment, alors que depuis l’affaire Dreyfus, romanciers et journalistes, ou penseurs se tenant par principe à l’écart des institutions, ont incarné cette parole publique considérée plus « vraie » que d’autres parce que à la fois libre et décentrée [1]. Jean-Paul Sartre a lui-même incarné et théorisé cette figure de l’intellectuel universaliste en le définissant comme « quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas » et qui prend le risque de s’engager au-delà de soi, voire contre soi, sortir de sa condition pour pouvoir s’ouvrir aux autres (les « opprimés ») et au monde.

Poussée bien plus tard jusqu’à la caricature par certains « intellectuels médiatiques » (« BHL », etc.), cet engagement s’est lui-même déconsidéré par sa méconnaissance des causes célébrées, allant jusqu’à brandir l’universalisme comme outil de domination. Face à lui, la figure de l’intellectuel spécifique portée par Michel Foucault a consisté à dire en substance « je ne me mêle que de ce qui me regarde » c’est-à-dire « de ce que je connais ». Cet engagement-là, bien plus que le précédent, a pu intéresser les chercheurs en sciences sociales parce qu’il les confortait dans la légitimité scientifique de leur éventuelle parole publique, tout en les éloignant à la fois d’une vocation supposée de « savant dans sa tour d’ivoire » ou, à l’inverse, d’un usage détourné de leur légitimité pour opiner sur tout et rien.
C’est de là, de la proximité immédiate que tout chercheur voulant « s’engager » peut ressentir avec la proposition foucaldienne de l’intellectuel spécifique, qu’il est possible d’inverser le raisonnement et de s’interroger sur la parole publique des chercheurs en repartant de leur savoir.
Une intelligence du monde
Et c’est à partir de là aussi qu’il est utile de nous interroger sur la tâche singulière des anthropologues. Car, si l’intellectuel est celui qui pense au-delà de sa propre condition, qui sort