Inégalités, injustices, ressentiment
Il est peu discutable que les inégalités sociales se creusent : le centième, et le millième plus encore, le plus riche de la population capte une part croissante des revenus et du patrimoine, pendant que la condition des pauvres se dégrade. Relativement modérée en France, cette évolution est extrêmement brutale dans les sociétés les plus libérales, comme aux États-Unis où le coefficient de Gini mesurant les inégalités a été multiplié pas près de deux au cours des quarante dernières années.

Cependant, cette définition des inégalités mesurées aux deux extrémités de l’échelle sociale reste relativement insatisfaisante car elle ignore les inégalités les plus fines, celles qui concernent vraiment les individus dans leur vie quotidienne, celles qui fondent leurs critiques et leurs sentiments d’injustice, celles qui, souvent, déterminent leurs choix politiques. Or il faut s’intéresser à ces inégalités-là pour mieux comprendre la situation dans laquelle nous sommes : alors que les inégalités « obscènes » sont dénoncées, les partis de gauche s’effondrent, les pauvres votent pour les droites contre de plus pauvres qu’eux et les appels au peuple contre les oligarchies n’évoquent guère les « petites inégalités » qui sont pourtant au cœur des expériences sociales. Dans la plupart des cas, les dénonciations des très grandes inégalités ne semblent pas se transformer en programmes de réduction des inégalités.
Pour essayer de comprendre ces paradoxes, peut-être faut-il moins s’intéresser à la croissance des inégalités qu’à leurs transformations et à la nature des expériences et des critiques sociales qui en découlent.
De la structure sociale inégalitaire aux inégalités multipliées
Les sociétés industrielles nationales étaient caractérisées par un système d’inégalités inscrites dans une structure sociale. Pour l’essentiel, les inégalités sociales y étaient perçues au regard des classes sociales et des expériences collectives. Pour le dire très, et trop, rapidement, les positions de