Société

Entre blessures et coupures : comment vivre dans un monde déchiré ?

Écrivaine, universitaire

De la pandémie au ressenti physique du changement climatique, de la montée de l’extrême droite aux nouveaux désirs séparatistes, nous nous trouvons entre angoisse et théories d’un devenir catastrophique. Tout ce qui déchire notre temps, nos vies, nos peaux, la peau du monde, la croûte de la Terre, les forêts lointaines, déchire en même temps chacun, et l’existence d’un « nous ». Comment vivre ainsi ? Et plus encore, comment repenser ce « nous », ce sujet qui pourrait changer le monde ?

« Les survivants dérangent »
Frédéric Gros

Nous sommes tous d’une façon ou d’une autre touchés par les changements accélérés de nos vies ces dernières années, de la pandémie au ressenti physique du changement climatique, de la montée de l’extrême droite aux nouveaux désirs séparatistes, nous nous trouvons entre angoisse et théories d’un devenir catastrophique.

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Jusqu’ici, on avait appris que le monde de la théorie construisait ses bases non seulement sur les analyses des événements, mais aussi guidé par le désir de changement. On pourrait nommer cela comme le fond utopique qui traverse surtout le domaine des sciences humaines et sociales. Aujourd’hui, on constate que même ce terrain-là est instable : ne pouvant plus intervenir comme auparavant, l’intellectuel se trouve parfois entre l’impuissance de son discours et le désir solitaire de convaincre qu’on peut changer le monde. Alors, peut-on changer le monde ? Qui serait compris dans ce pronom indéfini personnel, pluriel et en même temps si singulier ? On n’arrive même plus à dire : pouvons-nous changer le monde ? Un « nous » atomisé et écartelé, par plusieurs raisons, nous invite à repenser au moins ce qui ressemble à un constant déchirement de « nous-mêmes ».

Les constats sont pourtant là : nos relations se déchirent plus facilement, nos amitiés se fracturent ne pouvant parfois plus supporter nos différences, les gens disparaissent sans jamais dire au revoir, certains territoires deviennent des « no-go zones », certains pays encore pires et quant à ceux qui rentrent « chez nous », dans « nos pays », dans « nos quartiers », soit on fait semblant de ne pas les voir, soit on désire fermement les expulser. L’idée de stabilité de l’emploi n’existe plus pour la nouvelle génération, on travaille normalement tout seul, et l’autonomie du « homework » a changé aussi notre ouverture aux proximités. Bref, nos rêves changent, ou alors nous ne rêvons plus ensemble. Écrasés par les contraintes, on parvient encore à conte


[1] Voir sur AOC l’article « Le Brésil est une hétérotopie », paru le 2 décembre 2020.

[2] Voir Achille Mbembe, La Communauté terrestre, La Découverte, 2023.

[3] Elsa Dorlin, Autodefesa, uma filosofia da violência, São Paulo, UBU, 2020.

[4] Voir Frédéric Gros, La honte est un sentiment révolutionnaire, Albin Michel, 2021.

[5] Voir Monique Augras, « Quizila e preceitos : transgressao, reparaçao e dinâmiba do mundo », dans Culto Aos Orixás. Voduns E Ancestrais Nas Religiões Afro-Brasileiras, dirigé par Carlos Eugênio Marcondes de Moura, Rio de Janeiro, Pallas, 2006.

Ana Kiffer

Écrivaine, universitaire

Notes

[1] Voir sur AOC l’article « Le Brésil est une hétérotopie », paru le 2 décembre 2020.

[2] Voir Achille Mbembe, La Communauté terrestre, La Découverte, 2023.

[3] Elsa Dorlin, Autodefesa, uma filosofia da violência, São Paulo, UBU, 2020.

[4] Voir Frédéric Gros, La honte est un sentiment révolutionnaire, Albin Michel, 2021.

[5] Voir Monique Augras, « Quizila e preceitos : transgressao, reparaçao e dinâmiba do mundo », dans Culto Aos Orixás. Voduns E Ancestrais Nas Religiões Afro-Brasileiras, dirigé par Carlos Eugênio Marcondes de Moura, Rio de Janeiro, Pallas, 2006.