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Le Brésil est une hétérotopie

Écrivaine, universitaire

L’hétérotopie est cet espace se situant entre l’interdit et le transgressif, entre le caché et l’attendu, entre ce que la société elle-même produit et ce dont elle a besoin de feindre qu’elle ne produit pas… un « contre-espace » disait Michel Foucault qui en a formulé le concept. Le Brésil est une hétérotopie : pays déconsidéré hors de ses frontières mais aussi en son sein par ses propres habitants, aveugle à ses blessures et à son racisme, persuadé qu’il n’aurait d’autre solution que la soumission coloniale ou le nationalisme autoritaire. C’est ce qui explique son isolement.

Le Brésil est isolé. Il se débat contre le feu, les morts, les assassinats, la faim, la misère croissante dans les rues et les violences policières. Déchiré entre des haines multiples et différentes : celles qui ne veulent que tuer, et les autres, écartelées entre douleur, désespoir et revendications politiques. Le Brésil est isolé. Retranché dans une zone à part du monde, le Brésil est une hétérotopie. Je relis ce texte, Les Hétérotopies (2009), de Michel Foucault, alors que je me trouve en plein dans ce cratère politique, trou béant et approfondi par un phénomène mondial, la pandémie. Je réalise alors que la seule façon de penser l’isolement du Brésil actuel c’est en le comprenant dans ses strates relationnelles.

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En mettant en relation les différentes lignes spatio-temporelles qui dessinent l’amplitude et la profondeur hétérotopique de ce pays : depuis les corps violés des femmes esclaves aux corps noirs vivant de nos jours dans les favelas, depuis le sentiment d’infériorité qui marque l’emprise coloniale jusqu’à l’agressivité régnante des sociétés contemporaines, de l’esclavage au racisme, de la disparition de corps et des archives de la dictature civile et militaire jusqu’aux hommages rendus par le président Bolsonaro au pire des tortionnaires du pays, le Général Ustra, de la prétendue allégresse joviale du Brésil aux haines qui mettent le feu aux tropiques d’aujourd’hui.

Mais la difficulté à penser la singularité en relation indique la gravité de l’impact colonial sur une société. Dans le cas du Brésil il s’agit de comprendre pourquoi il est si difficile de dénoncer la manière dont le Brésil et dont nous, les Brésiliens, sommes historiquement déconsidérés hors du pays et dans notre propre pays.

Son grand territoire et le fait que ce soit le seul pays d’Amérique latine à parler le portugais ont également contribué à cet isolement. Parfois, l’immensité est un facteur de désorientation. Mais elle peut aussi être un facteur d’absorption. Pensons à des ex


Ana Kiffer

Écrivaine, universitaire