Nouvelle

Évaporée

Écrivain

Les jōhatsus : on appelle ainsi ceux qui, au Japon, semble-t-il pour fuir une dette, une responsabilité, un danger, disparaissent volontairement de la vie sociale, se dissipent dans ses marges. Sans doute abandonnent-ils ainsi ceux qui les aiment dans un étrange deuil. Benjamin Hoffmann, qui a publié il y a un an un roman sur L’Île de la Sentinelle (Gallimard), travaille en ce moment sur le sujet des « évaporés » et en a écrit une nouvelle proche de l’imaginaire des animés et de Murakami.

Il existe au Japon, dans les quartiers marginaux des villes tentaculaires, des individus vieillissants qui laissent doucement grandir la distance avec leur nom.

Celui qu’ils portent désormais, ils le déclinent comme une leçon apprise, comme un document tendu aux autorités avec une inclination de la tête ; mais celui qu’ils gardent au fond du cœur, ils ne le prononcent jamais, ou bien très rarement et pour eux seuls ; jusqu’au jour où il s’évanouit comme une inscription sur la roche que le passage du temps a effacée. C’est alors qu’un processus amorcé plusieurs décennies auparavant rejoint son terme. La trace de leur vie passée a disparu de la dernière mémoire au monde qui la retenait : ils se sont évaporés.

On les appelle les jōhatsus. C’est un mot japonais (蒸発) qui signifie : « évaporation ». Ceux qu’il désigne vivaient autrefois à Matsumoto, dans les Alpes japonaises ; ou bien à Sapporo, au nord, sur l’île d’Hokkaido. Ils avaient des parents et un frère, une petite fille et un mari ; ils avaient des collègues et des amis ; et un matin sans prévenir, glissant au long des murs que l’aube illuminait à peine, avec au bout du bras une valise contenant leurs effets personnels et peut-être, une ou deux photographies, ils sont montés dans le premier train qui sortait de leur ville. Leurs raisons à cela étaient diverses et parfois, on ne les comprenait que plus tard ; peut-être même qu’on ne les comprenait jamais vraiment, qu’eux-mêmes demeuraient incapables de nommer les raisons de leur geste. On racontait juste que l’un n’arrivait plus à payer ses dettes ; que l’autre avait perdu son emploi ; qu’une autre fuyait un mari violent ; ou bien qu’une responsabilité, une faute étaient trop lourdes à porter. Combien sont-ils ? Cent mille par an, si l’on en croit certaines études ; plus de cinq cent mille, d’après d’autres calculs. Comment être sûr ? Pour un citoyen dont la disparition est signalée, deux et plus s’évaporent en silence.

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Benjamin Hoffmann

Écrivain, Professeur de littérature française à l’université Ohio State

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