Littérature

Expérimenter par la littérature – sur deux livres de Pierre Senges

Essayiste

Pierre Senges revendique un art du décalage, une pratique ironique, un décentrement par la fiction. Un long silence interrompu par le cri d’un griffon et Épître aux Wisigoths, qu’il publie coup sur coup, illustrent sa défense d’une littérature autonome, multipliant les arabesques et les croquis, les exercices et les esquisses, les notes en marge et les digressions à n’en plus finir.

Pierre Senges est un encyclopédiste farfelu, obsédé de savoirs marginaux, d’objets indisciplinés qu’il tente tant bien que mal de faire entrer dans des dispositifs réfractaires, qui fuient de partout, avec trous et lacunes.

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L’inventaire est son obsession, la liste et l’accumulation son style de vie. Il a collectionné les silhouettes d’idiots, a composé les atlas de lieux imaginaires, a dressé la liste des animaux de l’Arche de Noé.

Cette fois, c’est sous couvert d’un nom qui ne trompe personne (un pseudonyme de plus pour une œuvre placée depuis Ruines-de-Rome sous le signe du faussaire), Pavel Pletika, qu’il se met à collectionner les silences dans Un long silence interrompu par le cri d’un griffon (Verticales). Voilà de quoi étonner quand cette figure de Pletika est si bavarde, mais si l’on songe que cette encyclopédie est composée dans un contexte historique où la communication est sous surveillance, faire silence, c’est opter pour des opérations mineures de résistance, des guérillas de bruit blanc, comme dans Ruines-de-Rome le protagoniste s’en allait détruire la civilisation à coup de pissenlits et autres mauvaises herbes.

Le livre redessine à tour de rôle le parcours de ce collectionneur ahuri et des extraits de cette encyclopédie. Au lecteur de découvrir les mille nuances du silence, et d’apprendre enfin à distinguer CHTCHA (lettre) et CHTCHI (soupe aux choux), à la manière d’un dialecte écossais comportant, selon les linguistes, 421 mots pour désigner la neige. Et en compulsant cette encyclopédie espiègle, le lecteur devrait se rappeler que ce livre prolonge, transpose et réécrit une fiction radiophonique : voilà bien du fil à retordre pour les techniciens du son, chargés de faire entendre les textures singulières de mille et une nuances de silence.

En marge de ce récit, Pierre Senges publie, dans la collection « En lisant en écrivant » chez José Corti, une manière d’art poétique, où il convoque une kyrielle d’écrivains qui l’accompagnent dans sa p


Laurent Demanze

Essayiste, Professeur de littérature à l'Université de Grenoble

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