Politique

Retour des peuples contre constitution du peuple

Philosophe

Lorsque, lors de la conférence des ambassadeurs de rentrée, Emmanuel Macron parle d’un « retour des peuples », c’est parce qu’il se garde bien d’utiliser le terme « populisme », autrement plus connoté. Pire, en présentant ce retour des peuples comme une chose positive, le président de la République justifie insidieusement sa politique migratoire sévère. Cela doit nous inviter à repenser le peuple, à l’inscrire dans le processus constituant, pour ne pas amplifier les sirènes du discours identitaire.

L’usage du signifiant « peuple » est suffisamment rare dans les discours du président de la République pour être noté. Sans doute l’avait-il gratifié d’un possessif, « mon peuple », dans l’entretien télévisé du 17 décembre 2017 : « le leadership international je le tiens de mon peuple », disait-il sur un ton qui a paru monarchiste. Mauvais procès : Emmanuel Macron ne faisait qu’activer le principe de la représentation, qui situe le représentant en position d’expression du représenté.

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Il en va tout autrement aujourd’hui lorsqu’il dessine, à la conférence des ambassadeurs, un aspect de l’état du monde en deux traits : une « mondialisation capitaliste » [1] en crise et un « retour des peuples » jugé positif. Essayons d’y voir un peu plus clair.

Tout cela ressemble à un tour de prestidigitation idéologique se donnant pour analyse de la crise mondiale du multilatéralisme. Chacun de ses deux aspects est présenté comme tendance et réaction. La tendance porte un double nom : « mondialisation capitaliste » et « modèle libéral westphalien multilatéral ». La compatibilité entre les deux n’est pas même questionnée. Y a-t-il complémentarité ou contradiction entre l’ordre politique issu du traité de Westphalie, fondé sur la reconnaissance du principe de la souveraineté des États-nations et la mondialisation capitaliste fondée sur la suprématie du capital, donc la libre circulation des marchandises et de la finance ? Admettons-le, si l’on veut. Cette tendance est pensée comme « progressiste », parce qu’elle rompt avec les cadres sociaux et mentaux qui entravent l’activité et l’initiative individuelle. Or elle est considérée comme capable d’emballement, produisant des effets négatifs contrariant les apports dont on peut la créditer ce qui serait la cause de la crise de l’ordre politique et social : elle n’a pas su « réguler les dérives qui lui sont propres : déséquilibres commerciaux […], catastrophes environnementales […], inégalités considérables au sein de nos société


[1] Toutes les citations sans références sont prises dans le discours prononcé par E. Macron lors de la conférence des ambassadeurs, le 27 août 2018.

[2] Soit en marge on ne voit pas comment cette psyché pourrait être de retour en « chacun de nos peuples » et la France faire exception à cette tendance universelle.

[3] Voir Albert Ogien, Steve Bannon face au vieux monde, AOC 21 et 22 août 2018.

[4] Rappelons qu’un problème n’est pas une question. Celle-ci se pose du point de vue d’un sujet qui l’énonce, qui l’ouvre et la relance, alors que celui-là est un obstacle à supprimer. Voir Bruno Karsenti, La question juive des modernes, PUF, p. 318.

[5] Voir, par exemple sur le site de la CIMADE, le décryptage de cette loi.

[6] Pour plus de détail sur cet aspect, je me permets de renvoyer à mon article sur AOC, Pourquoi le peuple ? Quel peuple ? du 29 mars 2018, ou à mon livre Les voies du peuple(Amsterdam).

[7] Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, PUF, p. 342.

[8] Ibid., p. 343.

[9] Ibid., p. 371.

[10] Archives Parlementaires, tome VIII, p. 451. Le texte de sa brochure, reprenant son intervention devant la Convention, intitulé De quelques observations sur la Constitution d’un peuple, m’a été communiqué par Bruno Bernardi au cours d’un séminaire universitaire, et doit faire l’objet d’un commentaire détaillé dans un ouvrage à paraître. De cours extraits en avait été donné par Stéphane Rials dans le précieux La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, publié en 1988 chez Hachette Pluriel (p. 153-155).

Gérard Bras

Philosophe, Directeur de programme au Collège International de Philosophie et président de l'Université populaire des Hauts-de-Seine

Rayonnages

Politique

Mots-clés

Populisme

Notes

[1] Toutes les citations sans références sont prises dans le discours prononcé par E. Macron lors de la conférence des ambassadeurs, le 27 août 2018.

[2] Soit en marge on ne voit pas comment cette psyché pourrait être de retour en « chacun de nos peuples » et la France faire exception à cette tendance universelle.

[3] Voir Albert Ogien, Steve Bannon face au vieux monde, AOC 21 et 22 août 2018.

[4] Rappelons qu’un problème n’est pas une question. Celle-ci se pose du point de vue d’un sujet qui l’énonce, qui l’ouvre et la relance, alors que celui-là est un obstacle à supprimer. Voir Bruno Karsenti, La question juive des modernes, PUF, p. 318.

[5] Voir, par exemple sur le site de la CIMADE, le décryptage de cette loi.

[6] Pour plus de détail sur cet aspect, je me permets de renvoyer à mon article sur AOC, Pourquoi le peuple ? Quel peuple ? du 29 mars 2018, ou à mon livre Les voies du peuple(Amsterdam).

[7] Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, PUF, p. 342.

[8] Ibid., p. 343.

[9] Ibid., p. 371.

[10] Archives Parlementaires, tome VIII, p. 451. Le texte de sa brochure, reprenant son intervention devant la Convention, intitulé De quelques observations sur la Constitution d’un peuple, m’a été communiqué par Bruno Bernardi au cours d’un séminaire universitaire, et doit faire l’objet d’un commentaire détaillé dans un ouvrage à paraître. De cours extraits en avait été donné par Stéphane Rials dans le précieux La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, publié en 1988 chez Hachette Pluriel (p. 153-155).