Numérique

Comment le modèle économique de Facebook transforme la communication

Enseignant-chercheur en relations publiques, Étudiante en communication

Beaucoup de nos conversations, de nos échanges, s’insèrent dans un environnement sociotechnique : le télégraphe, le téléphone, l’architecture technique des SMS, et aujourd’hui les plateformes numériques favorisent certaines formulations des messages et en compliquent d’autres. Quel est l’effet des modèles de rémunération des gestionnaires de communautés sur le langage ? Pourquoi la création d’un « web affectif », dans lequel les contenus les plus rémunérateurs sont ceux qui suscitent le plus d’engagement, configure-t-elle les modes d’expression ?

«Une anecdote sincère et personnelle peut vous permettre de créer un lien émotionnel avec votre audience et de générer de l’empathie à l’égard de votre organisation[1] ».

Ce conseil, et d’autres, donnés par Facebook peuvent paraitre anecdotiques. Pourtant, ces recommandations révèlent en creux ce qui, pour Meta, va générer des clics, donc des données exploitables pour son ciblage publicitaire et son bon fonctionnement.

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Elles mettent aussi en relief la prise en compte des questions affectives par les industries du numérique. Elles sont enfin révélatrices des usages que cette plateforme veut ou ne veut pas voir se développer. En regardant ce que Meta nous recommande afin de faire un « bon » usage de ses plateformes, la question suivante se pose : qu’est-ce que cette possible standardisation de la communication implique dans notre manière de communiquer et de nous informer ?

Avec cette question en tête, nous avons étudié les activités des gestionnaires de communautés en ligne, ces travailleur·euse·s à l’interface entre les organisations, les publics et les plateformes[2]. Cette étude s’appuie sur 32 entretiens au Québec[3] ainsi que sur l’analyse quali-quantitative des comptes Facebook et Instagram que ces gestionnaires animent, le tout croisé avec les pages de recommandations et de standards de Facebook. Dans les grandes lignes, nos analyses montrent que la communication sur Facebook repose moins sur la volonté de communiquer (pour les entreprises) ou d’informer (pour les médias) que de s’insérer au mieux dans un flux algorithmique qui se nourrit des clics qu’il permet lui-même de générer. Ce processus où les modèles (économiques, techniques d’usage, etc.) des plateformes deviennent la norme pour les secteurs économiques qui en dépendent, est nommé « plateformisation » par certain·e·s chercheur·e·s[4].

Cette plateformisation génère une dépendance pour les organisations ou les individus dont la principale source de revenus – et d’accès à leur audience – est u


[1] Page « Idées de publication pour votre Page professionnelle Facebook », sur le site « Meta For Business ».

[2] Ce projet, intitulé Affects numériques et travailleurs du clic (Antic) et dirigé par Camille Alloing, est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada dans le cadre d’une subvention « Développement Savoir ».

[3] Alloing, C., Cossette, S., & Germain, S., « Faire face aux plateformes. La communication numérique entre tactiques et dépendances », Questions de communication, 40, 2021.

Germain, S., & Alloing, C., « Engager, cliquer, liker. L’éditorialisation des contenus journalistiques sur les plateformes numériques », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, (107), 2022.

[4] Bigot, J.-É., Bouté, E., Collomb, C., & Mabi, C., « Les plateformes à l’épreuve des dynamiques de plateformisation », Questions de communication, (40), 2021.

[5] Srnicek, N., Platform Capitalism, John Wiley & Sons, 2017.

[6] La « portée organique » est le terme employé par Facebook pour nommer la circulation algorithmique des publications sur sa plateforme. À l’inverse, les pages souhaitant plus de visibilité peuvent investir dans une portée payante.

[7] Alloing, C., « Construire les publics numériques par leurs mesures », in Nau, J-P., Kessous, E., & Garci-Bardidia, R. (Dirs.), Technologie et transformation de marchés, L’Harmattan, 2020.

[8] Alloing, C., & Pierre, J., Le web affectif: une économie numérique des émotions, INA éditions, 2017.

[9] Grossberg, L., « Is there a fan in the house ? The affective sensibility of fandom », dans The adoring audience, p. 50-65, Routledge, 2002.

[10] Pierre, j., & Alloing, C., « Comment les émotions traversent le design ? Conception et usages d’une fonctionnalité du web affectif », Journal of Human Mediatised Interactions/Revue des Interactions Humaines Médiatisées, 19(2), 2018.

[11] Le média Radio-Canada en est un bon exemple avec la publication suivante qui met de l’avant une vidéo qui est directement hébergée

Camille Alloing

Enseignant-chercheur en relations publiques, Directeur du Laboratoire sur l’influence et la communication (LabFluens) et chercheur au Laboratoire sur la communication et le numérique (LabCMO)

Sara Germain

Étudiante en communication, Chercheuse associée au Laboratoire sur l'influence et la communication (LabFluens) et à l'Observatoire canadien sur les crises et l'action humanitaires (OCCAH)

Notes

[1] Page « Idées de publication pour votre Page professionnelle Facebook », sur le site « Meta For Business ».

[2] Ce projet, intitulé Affects numériques et travailleurs du clic (Antic) et dirigé par Camille Alloing, est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada dans le cadre d’une subvention « Développement Savoir ».

[3] Alloing, C., Cossette, S., & Germain, S., « Faire face aux plateformes. La communication numérique entre tactiques et dépendances », Questions de communication, 40, 2021.

Germain, S., & Alloing, C., « Engager, cliquer, liker. L’éditorialisation des contenus journalistiques sur les plateformes numériques », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, (107), 2022.

[4] Bigot, J.-É., Bouté, E., Collomb, C., & Mabi, C., « Les plateformes à l’épreuve des dynamiques de plateformisation », Questions de communication, (40), 2021.

[5] Srnicek, N., Platform Capitalism, John Wiley & Sons, 2017.

[6] La « portée organique » est le terme employé par Facebook pour nommer la circulation algorithmique des publications sur sa plateforme. À l’inverse, les pages souhaitant plus de visibilité peuvent investir dans une portée payante.

[7] Alloing, C., « Construire les publics numériques par leurs mesures », in Nau, J-P., Kessous, E., & Garci-Bardidia, R. (Dirs.), Technologie et transformation de marchés, L’Harmattan, 2020.

[8] Alloing, C., & Pierre, J., Le web affectif: une économie numérique des émotions, INA éditions, 2017.

[9] Grossberg, L., « Is there a fan in the house ? The affective sensibility of fandom », dans The adoring audience, p. 50-65, Routledge, 2002.

[10] Pierre, j., & Alloing, C., « Comment les émotions traversent le design ? Conception et usages d’une fonctionnalité du web affectif », Journal of Human Mediatised Interactions/Revue des Interactions Humaines Médiatisées, 19(2), 2018.

[11] Le média Radio-Canada en est un bon exemple avec la publication suivante qui met de l’avant une vidéo qui est directement hébergée