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Turquie : une diaspora téléguidée ou autonome ?

Géographe

Comment expliquer le fort impact du parti au pouvoir, l’AKP, au sein de la « diaspora » turque, et tel qu’en témoignent les résultats des dernières élections présidentielle et législative en Turquie ? Très probablement par l’importance de réseaux sociaux, lato sensu, qui irriguent un champ migratoire turc aujourd’hui étendu sur la presque totalité du monde.

Les résultats des élections présidentielle du premier tour et législatives turques dans le champ migratoire, de plus en plus considéré comme la « diaspora » turque, laissaient paraître, comme lors des précédentes élections (2014 et 2018) un très fort impact du parti au pouvoir, l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi – Parti de la justice et du développement) avec son allié principal le MHP (Milliyetçi Hareket Partisi – Parti de l’action nationaliste), alors que les sondages laissaient penser que la victoire du parti au pouvoir serait moins nette, voire qu’elle serait celle de l’opposition. Comme souvent, dans bien des pays très différents, les instituts de sondage turcs sont critiqués pour leurs « erreurs ».

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Les résultats de l’AKP retenus en Europe au second tour de l’élection présidentielle sont impressionnants : 57,47 % sous réserve de contestations (fréquentes, mais sans doute sans effets réels) des partis d’opposition. Ces scores n’en demeurent pas moins en régression par rapport à 2018 (59,4 %) et plus encore 2014 (62,2 % avec, il est vrai, une très faible participation). Ils ont cette fois atteint autour de 65 % en Allemagne, 64 % en France. En revanche, ces résultats aux États-Unis et au Canada sont très défavorables à la coalition au pouvoir.

Avec plus de trois millions d’électeurs potentiels en Europe, le taux de participation n’y est pourtant que de 52,67 %, contre 88,92 % en Turquie. En soi, cette situation mérite explication : la différence n’est pas tant liée à un désintérêt des électeurs européens qu’à des impossibilités réglementaires. Les réfugiés statutaires ont coupé leurs relations avec l’administration turque, tout comme de nombreux opposants « potentiels » (notamment des personnes d’origines kurde, alévie, chrétienne orientale, dont les Arméniens de Turquie) ou simplement les personnes peu intéressées par l’actualité turque et n’ayant pas demandé à bénéficier d’une double nationalité, ou encore les enfants qui n’ont pas été inscrits par leu


[1] Comme Inci Öykü Yener, Diaspora’s Political Mobilization for a « Homeland » Political Party: the case of Turkish People’s Democratic Party in Germany and France, thèse de Science Politique soutenue à Strasbourg en 2022, ou Ali Sait Yılkın, Political Participation of Turkish Youth of Germany. Voting and Non-Voting of Grandchildren of “Guest Workers” in Turkish Elections (2014-2018). Bielefeld.

[2] Gildas Simon, professeur de Géographie de l’Université de Poitiers, fondateur du laboratoire MIGRINTER associé au CNRS et de la Revue Européenne des Migrations Internationales. Il a largement contribué à la réflexion sur une vision essentiellement dynamique de la migration internationale à l’échelle mondiale, à partir d’une thèse portant sur les migrations tunisiennes vers la France. Parmi ses ouvrages : Géodynamique des migrations internationales dans le monde, PUF, 1995. Des concepts comme la filière migratoire, la circulation migratoire, ont été développés par nombre de ses élèves et collègues.

[3] Emmanuel Ma Mung, La diaspora chinoise. Géographie d’une migration, Ophrys, 2000.

[4] Yves Lacoste, fondateur de la revue Hérodote, était très strict dans son approche, contrairement à bien d’autres qui ne retenaient que l’étymologie grecque, diaspora étant dispersion, pas forcément juive. Voir par exemple, parmi les très nombreux titres des années 1980-1990 : Gérard Chaliand et Jean-Pierre Rageau, Atlas des diasporas, Éditions Odile Jacob, 1992, et Hérodote n° 53, Géopolitique des diasporas, avril-mai 1989.

[5] Stéphane de Tapia, « Immigrations turques en Europe : typologie des espaces et des réseaux », dans Paul Dumont, Jean-François Pérouse, Stéphane de Tapia, Samim Akgönül, Migrations et mobilités internationales : la plate-forme turque, Les Dossiers de l’IFEA, série la Turquie d’aujourd’hui n° 13, p. 30-78.

[6] Peter A. Andrews, with the assistance of Rüdiger Benningshaus, Ethnic Groups in the Republic of Turkey, Beihefte zu Tübinger Atlas des Vorderen Orients, Reihe

Stéphane de Tapia

Géographe, professeur de civilisation au Département d’Etudes turques à l’Université de Strasbourg

Notes

[1] Comme Inci Öykü Yener, Diaspora’s Political Mobilization for a « Homeland » Political Party: the case of Turkish People’s Democratic Party in Germany and France, thèse de Science Politique soutenue à Strasbourg en 2022, ou Ali Sait Yılkın, Political Participation of Turkish Youth of Germany. Voting and Non-Voting of Grandchildren of “Guest Workers” in Turkish Elections (2014-2018). Bielefeld.

[2] Gildas Simon, professeur de Géographie de l’Université de Poitiers, fondateur du laboratoire MIGRINTER associé au CNRS et de la Revue Européenne des Migrations Internationales. Il a largement contribué à la réflexion sur une vision essentiellement dynamique de la migration internationale à l’échelle mondiale, à partir d’une thèse portant sur les migrations tunisiennes vers la France. Parmi ses ouvrages : Géodynamique des migrations internationales dans le monde, PUF, 1995. Des concepts comme la filière migratoire, la circulation migratoire, ont été développés par nombre de ses élèves et collègues.

[3] Emmanuel Ma Mung, La diaspora chinoise. Géographie d’une migration, Ophrys, 2000.

[4] Yves Lacoste, fondateur de la revue Hérodote, était très strict dans son approche, contrairement à bien d’autres qui ne retenaient que l’étymologie grecque, diaspora étant dispersion, pas forcément juive. Voir par exemple, parmi les très nombreux titres des années 1980-1990 : Gérard Chaliand et Jean-Pierre Rageau, Atlas des diasporas, Éditions Odile Jacob, 1992, et Hérodote n° 53, Géopolitique des diasporas, avril-mai 1989.

[5] Stéphane de Tapia, « Immigrations turques en Europe : typologie des espaces et des réseaux », dans Paul Dumont, Jean-François Pérouse, Stéphane de Tapia, Samim Akgönül, Migrations et mobilités internationales : la plate-forme turque, Les Dossiers de l’IFEA, série la Turquie d’aujourd’hui n° 13, p. 30-78.

[6] Peter A. Andrews, with the assistance of Rüdiger Benningshaus, Ethnic Groups in the Republic of Turkey, Beihefte zu Tübinger Atlas des Vorderen Orients, Reihe