Numérique

De l’inégale géonumérisation du Monde

Géographe

Une nouvelle géonumérisation du Monde est en marche, opérée par des systèmes opaques qui ignorent l’absence de données et réactualisent ainsi la notion de blanc des cartes, dans une nouvelle logique d’omission.

Horror vacui : une expression latine qui signifie littéralement terreur du vide. Dans les Arts visuels, ce concept définit l’acte de remplir complètement toute la surface d’une œuvre avec une multitude de détails. L’horror vacui s’apparente, par exemple, à certains styles de graphisme postmoderne comme les travaux du designer David Ray Carson ou les dessins de comics de Mark Beyer.

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Alors qu’en physique, l’horror vacui reflète l’idée d’Aristote selon laquelle « la nature a horreur du vide », en géographie, longtemps, les géographes-explorateurs ont été fascinés par les blancs des cartes qui étaient sources de motivation pour aller découvrir des terres lointaines. Ils ont pu servir aussi le pouvoir politique en étant source de légitimation de la conquête coloniale. Longtemps aussi, les blancs des cartes ont été assumés par une cartographie dite « moderne » qui s’est servie du vide comme d’un support d’affirmation de ce qui était plein.

À l’ère du big data, la cartographie semble progressivement basculée dans une forme d’horror vacui. Face à un monde numérique qui déborde de données, une phobie des blancs de la carte s’empare des cartographes qui s’appuient sur les progrès technologiques pour les invisibiliser en quelques clics.

Accélération de la géonumérisation du Monde

Pourtant, si les transformations technologiques de ces dernières années conduisent à une profusion de données géographiques qui circulent en ligne, la bulle informationnelle qui nous entoure est loin d’être homogène d’un endroit à l’autre de la planète. L’autorité de l’État en matière de cartographie est ainsi progressivement remise en cause par de nouveaux faiseurs de cartes : des professionnels du secteur – géographes, cartographes, data analyst, data scientist… – plus nombreux et aux profils plus diversifiés, mais aussi de nouveaux acteurs : militants, journalistes, hackers, artistes, etc. Désormais, sur le web, les cartes sont partout.

Le Covid-19 a fourni un bon exemple de cette boulimi


[1] J’adopte comme Michel Lussault la majuscule, non pour signifier que le monde a changé sous l’effet de la mondialisation, mais pour le considérer comme une nouvelle organisation spatiale des réalités sociales, produisant des imaginaires inédits et contribuant à la création et à la diffusion d’images qui en elles-mêmes expriment la mondialité (Lussault M. (2007), L’Homme spatial. La construction sociale de l’espace humain. Le Seuil, La République des Idées).

[2] Latour B. (1987), La science en action, La Découverte.

[3] Denis J. (2018), Le travail invisible des données, Presses des Mines.

[4] Sa sortie a été accompagnée de la publication du livre Breaking Boundaries: The Science Behind our Planet (Dorling Kindersley, 2021) préfacé par Greta Thunberg.

[5] Les membres de cette ONG se définissent comme des « cosmographes » qui, à partir d’un travail sur les données scientifiques cherchent à rendre visible l’état de la planète.

[6] Noucher M. (2023) Blancs des cartes et boîtes noires algorithmiques, CNRS Éditions.

[7] Ce terme employé par Matthew Hindman (2008) traduit l’omnipotence des algorithmes de Google à surveiller et à façonner les flux d’informations, de personnes, de capitaux et de biens en créant notamment des « bulles de filtrage ».

[8] Fraser N. (2004) Justice sociale, redistribution et reconnaissance, Revue du MAUSS, 23(1), 152-164.

[9] O’Neil C. (2016) Algorithmes, la bombe à retardement, Autrement, p. 332.

[10] McPhail T. (2006) Global Communication: Theories, Stakeholders and Trends, Wiley-Blackwell, 2006.

[11] Thatcher J., O’Sullivan D. et Mahmoudi D. (2016) Data colonialism through accumulation by dispossession: New metaphors for daily data, Environment and Planning D: Society and Space, 34(6), 990-1006.

Matthieu Noucher

Géographe, chercheur au CNRS au sein du laboratoire Passages à l’Université Bordeaux Montaigne, et directeur-adjoint du réseau français de recherche en sciences de l’information géographique (GdR MAGIS)

Notes

[1] J’adopte comme Michel Lussault la majuscule, non pour signifier que le monde a changé sous l’effet de la mondialisation, mais pour le considérer comme une nouvelle organisation spatiale des réalités sociales, produisant des imaginaires inédits et contribuant à la création et à la diffusion d’images qui en elles-mêmes expriment la mondialité (Lussault M. (2007), L’Homme spatial. La construction sociale de l’espace humain. Le Seuil, La République des Idées).

[2] Latour B. (1987), La science en action, La Découverte.

[3] Denis J. (2018), Le travail invisible des données, Presses des Mines.

[4] Sa sortie a été accompagnée de la publication du livre Breaking Boundaries: The Science Behind our Planet (Dorling Kindersley, 2021) préfacé par Greta Thunberg.

[5] Les membres de cette ONG se définissent comme des « cosmographes » qui, à partir d’un travail sur les données scientifiques cherchent à rendre visible l’état de la planète.

[6] Noucher M. (2023) Blancs des cartes et boîtes noires algorithmiques, CNRS Éditions.

[7] Ce terme employé par Matthew Hindman (2008) traduit l’omnipotence des algorithmes de Google à surveiller et à façonner les flux d’informations, de personnes, de capitaux et de biens en créant notamment des « bulles de filtrage ».

[8] Fraser N. (2004) Justice sociale, redistribution et reconnaissance, Revue du MAUSS, 23(1), 152-164.

[9] O’Neil C. (2016) Algorithmes, la bombe à retardement, Autrement, p. 332.

[10] McPhail T. (2006) Global Communication: Theories, Stakeholders and Trends, Wiley-Blackwell, 2006.

[11] Thatcher J., O’Sullivan D. et Mahmoudi D. (2016) Data colonialism through accumulation by dispossession: New metaphors for daily data, Environment and Planning D: Society and Space, 34(6), 990-1006.