Société

Couper les chaînes de contagion par temps d’émeutes

Sociologue

Se trouver réduits à copier Erdogan ou les ayatollahs iraniens qui coupent à volonté tout l’internet, c’est admettre qu’on passe totalement à côté de ce qui constitue la vraie menace pour l’esprit de la vie publique au profit d’une traque de quelques méchants ou d’une punition générale de tous les citoyens. En revanche, le refus de toute régulation par idéologie néo-libérale ou libertarienne, qui domine actuellement, aboutit à se soumettre à l’empire des propagations.

Les émeutes urbaines récentes ont souvent été relatées en termes de contagion, d’étincelles, d’imitation, mais sans réellement prendre la mesure de ce qu’implique un tel point de vue, celui des propagations que je viens d’analyser en détail dans un livre[1].

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Si l’on adopte la métaphore de l’incendie, il est utile de s’inspirer des savoirs et savoir-faire des sapeurs-pompiers. Dans la propagation d’un feu, ils ne voient pas une « guerre » (avec ses « soldats », contrairement à ce que certains veulent aussi reproduire en permanence dans toutes les situations de propagation : Covid, manifestations, émeutes) mais une gestion du risque, comme nous l’avons analysé avec Stéphane Chevrier[2]. Les sapeurs-pompiers savent que la préparation du milieu est importante, ce qu’ils appellent la prévention. Les visites de sécurité, les équipements, les matériaux, les bouches à incendie : tout l’urbanisme est ainsi normalisé « au cas où ».

On en trouve un équivalent lorsque les analyses des émeutes mettent l’accent sur le déclassement social, la relégation, la pauvreté, la faiblesse des politiques de rénovation urbaine, la disparition des services publics, le désœuvrement par chômage ou par déscolarisation, etc. Ce point de vue attribue les causes des émeutes aux faiblesses de la structure sociale des quartiers et à l’injustice ressentie. Les réfractaires à cette analyse ont beau jeu de dire que cela demande des politiques de long terme, que cela ne résoudra en rien la propagation des émeutes en cours et, pour les plus réactionnaires, que si toutes les aides déjà fournies dans le cadre des politiques de la ville n’ont rien changé, c’est la preuve qu’elles ne servent à rien et qu’il vaut mieux même les arrêter.

Cette dernière approche tend alors à privilégier une autre attribution de responsabilité, celle qui vise à désigner des ennemis de la République, à nommer des responsables et à préconiser une répression ciblée sur ces instigateurs des révoltes. Les pompiers raisonnent


[1] Dominique Boullier, Propagations. Un nouveau paradigme pour les sciences sociales, Armand Colin, 2023.

[2] Dominique Boullier, Stéphane Chevrier, Les sapeurs-pompiers. Des soldats du feu aux techniciens du risque, PUF, 2000.f

Dominique Boullier

Sociologue, Professeur à Sciences Po (Paris), chercheur au Centre d'études européennes et de politique comparée (CEE)

Notes

[1] Dominique Boullier, Propagations. Un nouveau paradigme pour les sciences sociales, Armand Colin, 2023.

[2] Dominique Boullier, Stéphane Chevrier, Les sapeurs-pompiers. Des soldats du feu aux techniciens du risque, PUF, 2000.f