Un rapport sur la police oublié
La mort de Nahel par le tir d’un policier a provoqué ce qui est qualifié d’émeutes. Celles-ci ont de nouveau mis l’institution policière et les conditions d’exercice du métier de policier au centre des controverses.
Bien entendu, pour ce cas précis, il faudra attendre les résultats de l’enquête et le verdict de la justice. Mais ce qui ne peut attendre, car le déni sur ce point frise l’irresponsabilité dangereuse (cf. les propos de la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet le lundi 3 juillet sur France 2), c’est l’examen collectif approfondi de la nature et de l’ampleur des violences policières. Souvenons-nous de la manière parfois très brutale dont la police dispersait les gilets jaunes alors que le racisme n’était pas une catégorie d’intelligibilité des pratiques policières.
La France n’est pas le seul pays concerné par ce grave problème politique et institutionnel. Si nous parlons de violences policières en France, nous ne prétendons pas pour autant que l’institution policière est tout entière fondée sur une pratique ouvertement et juridiquement raciste. La police en France n’est ni la gardienne armée du maintien d’un apartheid ni celle de la séparation des « races ».
Après la mort de George Floyd le 25 mai 2020 à Minneapolis (USA), les signataires de cette tribune, alors tous membres du Conseil scientifique de la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT), se sont saisis, sur l’initiative de son président, Smaïn Laacher, de ce dramatique événement pour réfléchir sur les liens entre police, racisme et société française.
En tant que membres de ce Conseil scientifique (dissous par le gouvernement en janvier 2023) et conformément à notre rôle consistant à éclairer les décisions des responsables politiques, nous avons organisé vingt-et-une auditions entre janvier et mai 2021 auprès de chercheurs, policiers, gendarmes, journalistes, fonctionnaires, procureurs de la République, membres de l’École nationale de Police, de l’École nationale Supérieure de la Police (ENSP), de l’association du Défenseur des droits et de la LICRA. Toutes les personnes sollicitées ont accepté notre invitation. La tâche principale de notre groupe de travail fut d’écouter et d’échanger avec les personnes auditionnées afin de comprendre les liens éventuels entre violence et racisme, dans l’objectif de faire des propositions concrètes pour la formation initiale et continue des policiers.
Nous avons établi un rapport détaillé de ces auditions. Remis à la Déléguée interministérielle en juillet 2021 et destiné au ministre de l’Intérieur, il n’a jamais été rendu public. Nous n’en connaissons pas la raison précise.
Ce que nous savons, c’est qu’au fil des auditions, par l’écoute et les échanges, en nous appuyant, d’abord et avant tout, sur les propos, les analyses et les expériences professionnelles des personnes auditionnées, le champs de nos interrogations s’est élargi à la diversité des pratiques liées aux métiers des « forces de l’ordre » : formation initiale et continue, compétences professionnelles, légitimité de l’action policière, contrôle d’identité, « pénurie » d’encadrement, manifestation de racisme chez certains policiers, difficultés d’intervention auprès de certaines populations, organisation du travail, relations entre police et justice, rôle et indépendance de l’IGPN, enjeux déontologiques, etc.
Nous sommes parvenus à une conclusion qui n’a cessé de s’affermir tout au long des auditions : la formation des policiers devrait, dans le cadre d’une police au service des citoyens, viser à améliorer les relations entre police et population et ainsi (re)donner du sens au métier de policier. En effet, la formation des nouvelles recrues est à la fois trop courte et trop centrée sur le maintien de l’ordre, sans grande intelligibilité des caractéristiques sociales et culturelles des populations le plus souvent en contact avec la police, entrainant des effets concrets en matière de probité, d’impartialité et de maîtrise de soi.
Nous avons aussi fait 12 propositions pouvant intéresser le ministre de l’Intérieur. En voici quelques-unes :
– Augmenter le temps de formation initiale des gardiens de la paix ;
– Intégrer les sessions sur la lutte contre le racisme dans le cours de la formation des gardiens de la paix et des officiers ainsi que dans l’évaluation des élèves ;
– Intégrer des modules de sciences humaines et sociales dans la formation et dans son évaluation ;
– Conditionner l’avancement de carrière au suivi de modules de formation continue sur la déontologie, l’éthique dans les pratiques policières et la lutte contre le racisme ;
– Consolider l’encadrement intermédiaire par le recrutement et la formation spécifique de brigadiers, de brigadiers chefs et de majors ;
– Augmenter les moyens mis à disposition de l’IGPN (qui manque d’autonomie, d’indépendance et n’est saisie par les parquets que pour 10 % des affaires) et la rattacher au ministère de la Justice.
Seule une formation solide, à tous les niveaux de la hiérarchie, sera en mesure de permettre d’acquérir une culture professionnelle irréprochable en matière de racisme et de discrimination.
Dans ce travail d’audition réalisé par et pour la puissance publique, la question sensible du « racisme systémique » de l’institution policière[1] n’est quasiment jamais apparue comme un enjeu central. Qu’il y ait des policiers racistes au sein de la police française et que cela se traduise par des comportements professionnels inacceptables et pénalement condamnables, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. De nombreux policiers auditionnés l’ont reconnu et le regrettent. Au cours de ces auditions, personne (chercheurs et responsables du maintien de l’ordre) n’a affirmé que l’institution policière était délibérément fondée dans son organisation, sa structure hiérarchique, ses recrutements, sa déontologie, ses règlements intérieurs et son idéologie dominante, sur un « racisme systémique » visant à persécuter certaines populations en fonction de leur origine, de leur appartenance ethnique ou de leur confession, supposée ou réelle. Il a d’ailleurs souvent été mentionné au cours de ces auditions l’importance depuis quelques années du recrutement de policiers « issus de la diversité », pour lutter contre les discriminations à l’embauche, mais aussi dans le même mouvement contre le racisme au sein de la police.
Toutefois, la prévalence d’un ressenti de l’existence du racisme systémique ne peut pas être ignorée, les travaux des sociologues et des journalistes témoignent de façon qui n’a rien d’anecdotique de problèmes structurels qui encouragent les pratiques racistes et discriminatoires effectives.
Il résulte de ce travail que seule une formation solide, à tous les niveaux de la hiérarchie, sera en mesure de permettre non seulement d’acquérir une culture professionnelle irréprochable en matière de racisme et de discrimination, mais encore de renouer la confiance de la population, notamment dans les territoires où les tensions sont les plus aiguës avec les habitants et les habitantes. Nos conclusions s’avèrent toujours d’actualité.
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AOC publie intégralement ci-dessous la note du conseil scientifique de la DILCRAH sur la police et le racisme qui fut transmise en juillet 2021 à la déléguée interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT et destinée au ministère de l’Intérieur et qui n’a jamais été rendue publique.
Note du conseil scientifique de la DILCRAH
Police et racisme
12 recommandations pour améliorer la formation des agents et la lutte contre le racisme
Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH)
Juillet 2021
Après la mort de George Floyd, en mai 2020, de nombreuses manifestations ont dénoncé les pratiques racistes de la police américaine, particulièrement à l’égard de la population afro-américaine. En France, cet événement a ravivé le débat sur le racisme dans la police, certains dénonçant même le « racisme systémique » de l’institution policière. Le Conseil scientifique de la DILCRAH devait se saisir de cette forte inquiétude doublée d’une interrogation sur certaines pratiques policières s’apparentant explicitement à du racisme envers certaines catégories de la population française.
En conformité avec sa fonction de conseil des décideurs publics, le Conseil scientifique a donc organisé une série d’auditions sur le thème des liens entre police et racisme. Le groupe de travail, constitué sur l’initiative du Président du Conseil scientifique, est entièrement composé d’universitaires des sciences humaines et sociales (anthropologie, sociologie, philosophie, histoire, sciences de l’éducation et de la formation) membres de ce même Conseil scientifique (voir liste en Annexe 1). Pour mener à bien cette initiative, nous avons échangé avec des acteurs directement concernés par cette thématique. Il est à noter qu’aucun refus ne nous a été opposé. Les auditions se sont déroulées du 21 janvier au 20 mai 2021. Nous avons auditionné 21 personnes au total : des enseignants-chercheurs, des responsables exerçant au sein de la police, de la gendarmerie, de la justice et du Défenseur des droits et de représentants d’une association intervenant dans la formation (voir liste en Annexe 2).
La tâche principale du groupe de travail a été d’écouter, de comprendre et d’échanger avec les personnes auditionnées dans l’objectif de faire des propositions concrètes en matière de formation initiale et continue des policiers. Certes, la question centrale fut, du début à la fin des auditions, celle du racisme dans la police et de ses relations avec certaines catégories de la population française. Mais les thématiques abordées par les intervenants ont couvert un champ plus large de pratiques liées au métier de policiers : formation initiale et continue, compétences professionnelles, légitimité de l’action policière, « pénurie » d’encadrement, manifestation de racisme chez certains policiers, difficultés d’intervention auprès de certaines populations, organisation du travail, relations entre police et justice, rôle et indépendance de l’IGPN, enjeux déontologiques, etc. Un constat fondamental est apparu au fil des auditions : la formation des policiers devrait, dans le cadre d’une police au service des citoyens, viser à améliorer les relations entre police et population et ainsi (re)donner du sens au métier de policier.
À ce propos, nombre d’intervenants ont particulièrement mis l’accent sur deux enjeux. Tout d’abord, le constat d’une formation à la fois trop courte et trop centrée sur le maintien de l’ordre, sans grande intelligibilité des caractéristiques sociales et culturelles des populations le plus souvent en contact avec la police. Ensuite, l’absence d’intégration d’un critère de lutte contre les discriminations dans l’évaluation des policiers (gardiens de la paix et une partie de l’encadrement). La question de la formation, de sa qualité et de sa durée, est, par ailleurs, structurellement liée à une désaffection du métier de policier : l’offre de postes étant plus importante, la sélection des candidats est devenue moins rigoureuse, entraînant des effets concrets en matière de probité, d’impartialité, de maîtrise de soi, de compétences juridiques, de maîtrise de la langue et de l’écrit, etc.
En outre, il importe de noter que la question sensible du “racisme systémique” de l’institution policière n’a quasiment jamais été abordée comme un enjeu central. Qu’il y ait des policiers racistes au sein de la police française et que cela se traduise par des comportements, au cours de l’activité professionnelle, pénalement condamnables, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Au sein même de l’institution policière, nombreux sont celles et ceux qui le reconnaissent et tentent de rétablir un comportement républicain en matière d’intervention et de maintien de l’ordre. Mais les auditions ont montré qu’on ne peut affirmer que l’institution policière française est délibérément fondée dans son organisation, sa structure hiérarchique, ses recrutements, sa déontologie, ses règlements intérieurs et son idéologie dominante, sur un « racisme systémique » visant à persécuter systématiquement certaines populations en fonction de leur origine, de leur appartenance ethnique ou de leur confession, supposée ou réelle. Il a d’ailleurs souvent été mentionné au cours des auditions l’importance qu’a revêtu depuis quelques années le recrutement de policiers « issus de la diversité », précisément dans la perspective de lutter contre les discriminations à l’embauche ; mais aussi dans le même mouvement contre le racisme au sein de la police.
La présente note, issue des travaux de notre groupe de travail, émet donc des recommandations à destination du ministère de l’Intérieur pour améliorer la formation initiale et continue des policiers afin de mieux lutter contre le racisme et de replacer la confiance avec la population au cœur des missions de sécurité.
1. La formation intiale
De 450 postes de gardiens de la paix ouverts en 2010, nous sommes passés à 3 000 postes en 2020. L’élargissement du recrutement dans la police a conduit à accueillir des personnes avec une formation initiale moins satisfaisante. Il en ressort le constat suivant : les gardiens de la paix maîtrisent moins l’écrit, sont moins autonomes et peu au fait du fonctionnement des parquets, par exemple.
S’ajoute à la baisse du niveau de recrutement la durée très courte de la formation initiale des gardiens de la paix en France : 8 mois en école, contre 12 mois précédemment. Bien qu’un retour à 12 mois en école soit prévu pour 2022, la formation initiale est plus longue dans de nombreux pays comme en Allemagne, en Finlande et en Norvège, où la formation des policiers dure 3 ans.
Or, une durée trop courte de la formation réduit les contenus de formation aux aspects techniques, et entrave l’entrée dans le métier et la professionnalisation.
Recommandation 1 : Augmenter le temps de formation initiale des gardiens de la paix.
Concernant la formation, l’une des difficultés soulignées par les personnes auditionnées est la remise en question immédiate des enseignements à la sortie de l’école. Il est ainsi fréquent pour les jeunes recrues d’entendre à leur arrivée en poste des conseils tels que « Oublie ce que tu as appris à l’école, ici c’est la vraie vie ! ».
Outre l’accent sur les gestes techniques, les notions complexes sont abordées de manière trop générale ou théorique. La déontologie ne fait par exemple par l’objet de mises en situation pratiques. Les promotions de gardiens de la paix, composées de 250 élèves dans les plus grandes écoles, sont trop nombreuses pour pouvoir bénéficier d’ateliers pratiques.
Recommandation 2 : Privilégier une approche pédagogique par les compétences et la mise en situation pratique pour mieux répondre aux besoins des futurs gardiens de la paix.
Les sessions de formation sur la lutte contre le racisme au sein des écoles de police (écoles nationales et école nationale supérieure) sont assurées par trois acteurs différents :
– La DILCRAH dans un module de 2 heures sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT ;
– Le Défenseur des Droits dans un module de 2 heures sur la lutte contre les discriminations et la déontologie des forces de sécurité ;
– La LICRA dans un module de 2 heures sur le racisme et l’universalisme.
Les modules de la DILCRAH et de la LICRA sont placés à la fin de la formation, c’est-à-dire après l’évaluation et à l’approche des affectations de poste. L’appropriation de leur contenu par les élèves n’est donc ni évaluée ni incluse dans le classement de sortie d’école. De plus, ces modules sont rarement préparés en amont par les formateurs internes ; les élèves découvrent la fonction et le statut de leurs interlocuteurs pendant la session, ce qui ne facilite pas leur participation active.
Recommandation 3 : Intégrer les sessions sur la lutte contre le racisme dans le cours de la formation des gardiens de la paix et officiers et dans l’évaluation des élèves.
Le caractère trop interne de la formation a été souligné à de nombreuses reprises lors des auditions.
Il est difficile aujourd’hui de savoir précisément qui devrait dispenser les enseignements ou les formations nécessaires, les points de vue entendus sont divergents. Les intervenants extérieurs sont accueillis avec méfiance, les formateurs internes n’abordent pas certaines dimensions notamment concernant la connaissance de la population dans sa diversité. Une configuration adéquate à la nécessaire ouverture de la formation et à son amélioration pourrait consister en la co-intervention d’un formateur membre de l’institution et d’un intervenant extérieur, sur les sujets impliquant les interactions avec la population, la connaissance de celle-ci, la conflictualité, le racisme, les discriminations.
Les auditions ont en outre révélé un manque de connaissance et de compréhension du fonctionnement de la justice par les gardiens de la paix, voire une défiance vis-à-vis de l’autorité judiciaire. Des relations plus étroites entre les institutions, notamment par une intervention conjointe du parquet et d’un policier enquêteur en école, amélioreraient la maîtrise des exigences procédurales permettant de donner suite à des interpellations ou de retenir la circonstance aggravante raciste.
Recommandation 4 : Multiplier les sessions de formation en binôme police/intervenant externe, notamment sur le fonctionnement de la justice.
Au cours de la formation initiale, l’accent est mis sur la maîtrise des gestes techniques. Les modules consacrés à la psychologie et à la relation avec la population sont insuffisants. Or, la « nécessité de renouveler le pacte de protection et de sécurité » est le premier objectif du Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020. Recréer les conditions de confiance, réaffirmer le sens des missions et promouvoir l’exemplarité en sont les 3 piliers.
La lutte contre le racisme au sein de la police et envers la population passe par la compréhension des populations et de leur histoire avec la République française. La grande majorité des gardiens de la paix intègrent leur premier poste dans la région parisienne alors que, originaires de lieux à faible diversité sociale et ethnoculturelle, ils ne connaissent pas ou connaissent peu les caractéristiques locales. Ainsi, plusieurs enseignements peuvent être proposés :
– Histoire : migrations, colonisation/décolonisation, histoire de la police ;
– Sociologie : identité, déviance, minorité, norme, ;
– Psychologie : biais cognitifs, psychologie positive (pour pallier le « pessimisme anthropologique » souvent évoqué lors des auditions), leadership (savoir s’opposer à des manifestations racistes d’un collègue), soft skills (travail d’équipe, attention aux autres, intelligence émotionnelle, flexibilité) ;
– Démographie : statistiques, composition de la population.
Recommandation 5 : Intégrer des modules de sciences humaines et sociales dans la formation et dans son évaluation.
La confiance entre la police et la population, notamment dans les territoires où les tensions sont les plus aigües avec les habitants, ne peut être améliorée sans effort de pédagogie de la police auprès des citoyens sur leurs missions.
Le fait que les évaluations ne portent pas sur les manières de faire diminuer la conflictualité, de communiquer de façon appropriée, sur la compréhension des situations, gestes, paroles et actes entrant dans des pratiques discriminatoires ou racistes, n’incite pas les élèves à faire porter leur attention sur ces sujets, ni à construire une culture professionnelle intégrant des pratiques irréprochables en matière de racisme et de discrimination.
L’apprentissage de la médiation et de la communication est essentiel pour l’exercice du métier de policier. L’étude de la rhétorique, le sens des mots, la communication non-verbale ou encore les techniques de médiation sont des contenus pertinents.
Recommandation 6 : Doter les élèves gardiens de la paix et officiers de savoirs et de méthodes de communication adaptés.
2. De la formation initiale à la formation continue et aux parcours professionnels
Le lien entre formation initiale et activité est principalement envisagé à travers le stage et par des mises en situation en école. Ce qui ressort des auditions est que ce dispositif est insuffisant et en partie inadéquat car pas assez articulé à l’expérience professionnelle et laissant peu de place à la réflexivité des élèves en formation suite à des expériences d’intervention. De fait, les modes d’accompagnement (tutorat ou autre) prévus lors du stage souffrent du manque de disponibilité des personnels en charge de cet accompagnement. L’élève est alors davantage formé par ses pairs que par le centre de formation. Or cette formation de type compagnonnage peut s’avérer propice à la transmission ou à l’imposition de stéréotypes racistes par certains agents expérimentés qui ont un ascendant sur le groupe.
Recommandation 7 : Mettre en place les conditions organisationnelles et de formation favorisant un accompagnement à l’entrée progressive dans le métier.
La faiblesse de la formation continue réellement suivie en matière d’éthique et de lutte contre le racisme a été soulignée par nos interlocuteurs.
Pour créer un continuum entre formation initiale et formation continue, le parcours de formation devrait notamment comporter des sessions de formation continue sous la forme d’échanges et d’analyse de pratiques, complétés par des apports plus formels sur la question du racisme en acte (par un intervenant extérieur), et sur les attentes institutionnelles en la matière. La part de la formation consacrée à la déontologie devrait être poursuivie sous l’angle d’une réflexion éthique une fois les élèves en fonction. L’éthique, dans les métiers de la fonction publique et de relation avec autrui comme le sont les policiers, a pour objectif de définir les meilleures façons d’agir en relation avec les injonctions institutionnelles, les principes républicains et les règles et valeurs propres au métier. Cela nécessite des espaces de délibération entre pairs, de supervision, lors de la prise de fonction et tout au long de la carrière.
Recommandation 8 : Intégrer des modules réflexifs sur la déontologie et l’éthique dans les pratiques policières dans la formation continue.
Les échanges avec tous les praticiens rencontrés nous conduisent à la conclusion que tant que la formation continue intégrant les questions éthiques et l’objectif de construction d’une culture antiraciste n’est pas un élément de la progression de carrière des agents, elle restera la part délaissée de la formation. Le manque d’effectifs, qui rend difficile le fait de s’absenter pour une formation, et l’absence de valorisation de la formation continue, font obstacle à la déconstruction des pratiques professionnelles inadaptées et à la montée en compétence des agents. Penser la formation dans un continuum entre formation initiale, continue et parcours professionnel est une piste pour la construction d’une culture professionnelle antiraciste.
Recommandation 9 : Conditionner l’avancement de carrière au suivi de modules de formation continue sur la déontologie, l’éthique dans les pratiques policières et la lutte contre le racisme.
3. Pour aller plus loin : la régulation des manifestations de racisme dans la police
Les conditions des premières nominations et l’organisation du travail ainsi que les sous-effectifs et le stress lié à des attentes institutionnelles de “chiffres” concourent à créer des situations lors desquelles il y a des manifestations de racisme.
En interne ou à l’égard de la population, les modes de régulation les plus fréquents et les plus efficaces cités sont ceux portés par la hiérarchie de proximité ou par un groupe de pairs acquis à la culture antiraciste. L’encadrement intermédiaire est ainsi apparu comme stratégique pour réguler les manifestations racistes. Or leur nombre a beaucoup diminué depuis la réforme de 2004 et les fonctions d’encadrement sont confiées à des agents moins expérimentés.
Recommandation 10 : Consolider l’encadrement intermédiaire par le recrutement et la formation de brigadiers chefs et de majors.
Les auditions ont montré que les agents assistant à des manifestations racistes de la part de leurs collègues à l’encontre de citoyens, d’eux-mêmes ou d’autres policiers sont souvent démunis pour les signaler. Pourtant, l’institution policière dispose d’outils en ce sens : la cellule d’écoute interne, les plaquettes d’information, les services de psychologues etc. Ces ressources ne sont pas suffisamment accessibles ni connues des agents.
Recommandation 11 : Mieux valoriser les ressources existantes de lutte contre le racisme auprès des policiers.
Enfin, l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) ne permet pas, en l’état actuel, de lutter efficacement contre les manifestations de racisme par des policiers. D’une part, elle manque de moyens, contraignant les parquets à ne la saisir que pour 10% des affaires impliquant des policiers. 90% de ces affaires sont ainsi confiés au service de déontologie de la DDSP locale, limitant la réalisation d’une enquête exhaustive sur les faits. D’autre part, l’IGPN manque d’autonomie, voire d’indépendance. La relation hiérarchique entre l’IGPN et la DGPN nuit à son efficacité et à sa crédibilité. L’IGPN pourrait être composée de manière plus mixte de policiers et de magistrats, dirigée par un magistrat comme en Belgique, ou rattachée au ministère de la Justice comme au Danemark.
Recommandation 12 : Augmenter les moyens mis à disposition de l’IGPN et la rattacher au ministère de la Justice.
Remerciements
Le groupe de travail « police et racisme » du Conseil scientifique de la DILCRAH tient à remercier chaleureusement l’ensemble des personnes qui ont accepté d’être auditionnées dans le cadre de ses travaux.
Annexe 1 : Liste des membres du groupe de travail « Police et racisme »
Smaïn LAACHER (Président du Conseil scientifique)
Johanna BARASZ
Evelyne HEYER
Françoise LANTHEAUME
Philippe LIOTARD
Régis SCHLAGDENHAUFFEN
Anna ZIELINSKA
Annexe 2 : Liste des auditions menées par le groupe de travail « Police et racisme »
Auditions du 21 janvier 2021 : Fabien JOBARD, chercheur ; Sébastian ROCHE, chercheur ; David PICHONNAZ, chercheur.
Auditions du 18 février 2021 : Gustav FIERE, chercheur ; Véronique BORDES, chercheuse ; Jérémie GAUTHIER, chercheur.
Auditions du 18 mars 2021 : Eric VERZELE, ancien commissaire, délégué du procureur ; Stéphane LEMERCIER, capitaine de police et intervenant en droit pénal ; Thomas FAREL, gendarme ; Valentin GENDROT, journaliste.
Auditions du 15 avril 2021 : Vincent LE BEGUEC, contrôleur général, DGPN ; Olivier ENAULT, directeur de l’Ecole Nationale de Police d’Oissel ; Martine COUDERT, directrice de l’Ecole nationale Supérieure de la Police (ENSP) ; William MARION, directeur adjoint de l’ENSP, et leurs collaborateurs.
Audition du 10 mai : Christian DE ROCQUIGNY, ministère de la Justice, DACG.
Auditions du 20 mai 2021 : Dominique MOREL et Barbara BICHON, LICRA.
Auditions du 26 mai 2021 : 2 procureurs de la République ; Benoît NARBEY et Vincent LEWANDOWSKI, Défenseur des Droits.