Les 43 d’Iguala
1. Aveux
J’aurais préféré éviter de le faire, mais cela s’est révélé impossible. J’ai dû aller à l’encontre du ton mesuré qui domine le langage de la politique, de la vie publique, et même de la littérature et du journalisme. Les belles formes qui, trop souvent, prétendent cacher la réalité.
Je dois parler de ce dont personne ne veut plus parler. Je dois m’exprimer contre le silence, contre l’hypocrisie, contre les mensonges. Et je le fais parce que je sais que d’autres, comme moi, un peu partout dans le monde, partagent la même certitude : l’influence de la perversion a dévoré la civilisation, l’ordre institutionnel, le bien commun.
On pourrait me rétorquer que ce n’est nullement le cas, que tout va mieux maintenant pour l’humanité que par le passé, que la démocratie impose à chacun une échelle de perfectibilité, que les attentes des gens sont manifestes, que la liberté a atteint pour la première fois son climax historique : science, raisonnement logique, économie de libre marché, individualisation, contrat social liant les responsabilités des gouvernants et des gouvernés, multilatéralisme des rapports planétaires.
Pourtant, l’obstination des faits vient contredire un discours si trompeur. Et la couleur grise tend à s’imposer dans un monde qui admettait jusque-là toute la richesse du spectre chromatique. C’est le gris sans équivoque des cendres de ceux qui sont morts dans l’indignité, des cloaques et des immondices bouillonnantes, du marécage trouble, de « l’impartialité » politique et de l’utilitarisme au nom des causes idéologiques.
Tous les soirs, avant de m’endormir, une rumeur grave monte jusqu’à mes oreilles, et augmente peu à peu jusqu’au désespoir. À ce moment-là, lorsque je remarque que ce bruit provient d’un point subtil, lointain, interne, comme sous-jacent dans le quotidien, et qu’il semble apporter avec lui le souffle inquiétant d’une catastrophe imminente, à cette limite qui lie mon angoisse à un vertige soudain, à l’annonce d’un trouble tellurique et