Littérature

La servante au grand cœur – sur Georgette de Dea Liane

Écrivain

Georgette de Dea Liane s’apparente plutôt à un récit autobiographique qu’à un premier roman, même si ce très beau livre entretient un lien tout personnel avec la fiction. La jeune écrivaine y interroge en effet le lien qu’elle a entretenu enfant avec sa « nounou », Georgette, et ce qui a pu y entrer d’amour sincère et de convention sociale… Ce jeu poignant du vrai et du faux est aussi l’occasion d’évoquer, d’une plume particulièrement sensible et parfois cruelle, les réalités ordinaires d’une famille de la bourgeoisie libano-syrienne.

«La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.
Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs… »

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On a toujours trouvé d’une beauté assez stupéfiante le début de ce poème fameux de Baudelaire, le centième des Fleurs du Mal, auquel on a immédiatement pensé en découvrant le premier livre de Dea Liane, Georgette. En l’absence de mention de genre sur sa couverture, on pourrait dire qu’il s’agit d’un récit autobiographique, mais c’est aussi un peu plus que cela, assurément. Le titre, ainsi, dit d’entrée ce que sera l’espace du texte, dans son intégralité : un (pré)nom qui prend, comme une entité mythologique, toute la place – comme si « la servante au grand cœur » de Baudelaire était soudain désignée dans sa condition, son mystère, son identité problématique.

Georgette, c’est en effet l’ancienne « nounou » de l’autrice, aujourd’hui comédienne, née en 1990, qui a grandi dans une famille bourgeoise d’origine libano-syrienne… Quelque chose comme une seconde mère, un vrai-faux membre de la famille, toute en tendresse et pourtant assujettie au strict protocole social de la déférence, de la différence : un emploi ? Tout est dans la tension de ce faux, de ce flou, de cette fiction même qui s’est jouée dans l’enfance, d’une mère qui n’en est pas tout-à-fait une, mais qui en remplit les fonctions, en a les attentions, les attitudes, peut-être l’affection.

C’est là quelque chose qui est de l’ordre du roman, si l’on veut : une distribution sociale qui assigne aux personnages que nous sommes des places déterminées, un certain mode de dialogue, une façon précise de se tenir sur la scène de l’existence… C’est donc aussi le théâtre des conventions, pour lequel Dea Liane – qui sans doute n’est pas devenue comédienne par hasard – manifeste une sensibilité spéciale, particulièrement attentive aux voix et aux postures, dont elle traque le factice ou l’authentique avec un


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire