Littérature

Là où bute l’imagination – sur Derrière la clôture verte. Survivre à Treblinka de Richard Glazar

Professeur de littérature comparée

On a vu et écouté Richard Glazar, survivant de Treblinka, l’un des camps d’extermination de l’Aktion Reinhard, dans Shoah de Lanzmann. Sort enfin en France son témoignage écrit. Un livre majeur de la littérature mondiale, plein d’ironie et d’humour amer – plein de vie –, où l’on comprend notamment l’importance des camps dans la machine économique nazie, à partir du trafic des biens dont les déportés étaient dépouillés avant de mourir assassinés dès leur arrivée.

Derrière la clôture verte. Survivre à Treblinka est le témoignage tardivement publié de Richard Glazar, un des rares Juifs ayant survécu à ce camp dont les seules fonctions étaient d’assassiner en masse principalement des Juifs (800 000 et environ 2 000 Roms et Sinti y ont été gazés ou exécutés par balle) et de renvoyer leurs biens en Allemagne.

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L’ouvrage est paru chez Actes Sud en septembre 2023 après avoir été initialement rédigé par l’auteur en allemand et publié en 1992 aux éditions Fischer avec un titre mentionnant également la couleur verte[1]. En effet, non seulement ce camp avait été implanté au cœur d’une forêt haute et dense comme on en trouve en Pologne, mais une de ses particularités était de présenter aux arrivants des espaces délimités par d’imposantes barrières de feuillages bien entretenues, presque accueillantes. Avant d’y pénétrer, quelques mots sur Treblinka et Richard Glazar.

Treblinka, situé à une centaine de kilomètres de Varsovie, Bełżec et Sobibór, non loin de la frontière ukrainienne, désignent les trois camps de la dénommée Aktion Reinhard, organisée par des SS avec à leur tête Odilo Globocnik, Christian Wirth et Adolf Eichmann, où doivent être exterminés entre mars 1942 et fin 1943 les Juifs (au moins 1 600 000) et les Roms et Sinti (au moins 50 000), et mettre notamment fin à leur présence en Pologne. Pour cela, il ne s’agit pas de procéder par tueries comme ce qui se déroule avec la « Shoah par balles » au fur et à mesure que le front progresse sur les territoires de l’Est, mais par gazage. Rien à voir avec les camps de concentration et l’exploitation par le travail des déportés jusqu’au bout de leur force. Rien à voir non plus avec Auschwitz, immense complexe concentrationnaire et zone d’intérêt économique à l’intérieur desquels fonctionnait, comme une unité autonome, le centre d’extermination de Birkenau.

Le 10 octobre 1942, un convoi d’un millier de déportés arrive à Treblinka en provenance de Theresienstadt, ce ghetto « mod


[1] Die Falle mit dem grünen Zaun, littéralement, « le piège avec une clôture verte ».

[2] Cette citation est extraite de la remarquable étude rassemblée par Samuel Moyn sous le titre A Holocaust Controversy. The Treblinka Affair in Postwar France, Brandeis University Press, 2005, p. 138.

[3] Gitta Sereny, Au Fond des ténèbres. De l’euthanasie à l’assassinat de masse : un examen de conscience [1974], traduit de l’anglais par Colette Audry, Denoël, 1975, p. 208 [Tallandier, 2019].

[4] Borowski décrit également un tel marché de contrebande à Auschwitz.

[5] Il faudrait, à ce titre, se pencher à nouveau sur le Hitlers Volkstaat (2002) de Götz Aly, mettant en avant la politique économique du Troisième Reich et la façon dont le pillage a placé le pays et ses habitants sous perfusion.

Philippe Mesnard

Professeur de littérature comparée, Université Clermont Auvergne

Notes

[1] Die Falle mit dem grünen Zaun, littéralement, « le piège avec une clôture verte ».

[2] Cette citation est extraite de la remarquable étude rassemblée par Samuel Moyn sous le titre A Holocaust Controversy. The Treblinka Affair in Postwar France, Brandeis University Press, 2005, p. 138.

[3] Gitta Sereny, Au Fond des ténèbres. De l’euthanasie à l’assassinat de masse : un examen de conscience [1974], traduit de l’anglais par Colette Audry, Denoël, 1975, p. 208 [Tallandier, 2019].

[4] Borowski décrit également un tel marché de contrebande à Auschwitz.

[5] Il faudrait, à ce titre, se pencher à nouveau sur le Hitlers Volkstaat (2002) de Götz Aly, mettant en avant la politique économique du Troisième Reich et la façon dont le pillage a placé le pays et ses habitants sous perfusion.