Hommage

Francis Bueb, qui fut poète en actes par temps de vraie guerre et de fausses paix

Journaliste

Il fut l’homme d’un engagement résolu, dans Sarajevo assiégée puis deux décennies durant dans la même ville considérée comme possible « cœur » d’une Europe à inventer. Francis Bueb, qui vient de mourir, aura incarné avec une énergie intraitable les possibles puissances des arts et de la culture à l’épicentre des conflits politiques de la fin du 20e siècle et du début du suivant.

«Ce que vous avez fait est le symbole de ce que la France aurait dû faire en Bosnie. » C’est Edgar Morin qui l’a dit, le 27 novembre 2005, lors d’une journée d’hommage à ce Centre André Malraux créé par l’homme que saluait le philosophe, Francis Bueb. Francis Bueb vient de mourir, le 23 octobre, à Paris. Il avait 77 ans.

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Quand les sbires de Milosevic et de Karazic ont encerclé Sarajevo et commencé à la pilonner, il s’est trouvé, et c’est heureux, des organisations internationales et des ONG pour organiser son ravitaillement en nourriture, en couverture, en carburant. Et un type, tout seul, pour organiser son ravitaillement en livres, en films, en disques. Tout seul ? Sans structure derrière lui, sans financement ni soutien officiel, Francis Bueb n’avait qu’une seule ressource : un carnet d’adresses. Pour avoir été durant près de 20 ans responsable des rencontres de la FNAC, il avait été en contact avec d’innombrables artistes de tous les domaines.

Quand la guerre était réapparue en Europe, quand après les bombardements de Vukovar et les premiers camps serbes et croates elle s’était cristallisée dans le siège de Sarajevo, ville multiethnique par excellence, il était parti s’y installer. Tout de suite, il a considéré que les ressources de l’esprit seraient des armes indispensables à la ville assiégée et bombardée. La généalogie de cet acte est évidente, elle renvoie à celui dont Bueb se sera toujours réclamé, et qui donne son nom à l’association créée sur place, à la diable. Malraux l’écrivain, Malraux du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, Malraux des Brigades internationales en Espagne, Malraux le Ministre de la culture, c’est tout un. En tout cas pour Bueb, l’homme de L’Espoir  (le livre) et d’Espoir (le film), de l’accueil du Général de Gaulle devant l’hôtel de ville dans « Paris outragé, mais Paris libéré », du discours devant le Panthéon pour Jean Moulin et du discours d’inauguration de la Maison de la culture de Bourges définissant le


[1] Deux longs métrages de Godard sont directement inspirés des guerres en ex-Yougoslavie, Forever Mozart et Notre musique, à quoi s’ajoutent plusieurs versions successives d’une réflexion sur la culture et l’Europe, titrées dans plusieurs cas Je vous salue Sarajevo, et Le Pond des soupirs dans le cadre du film collectif Les Ponts de Sarajevo. Chris Marker a réalisé trois films consacrés aux mêmes événements, Le 20 heures dans les camps, Casque bleu et Un maire au Kosovo (édités ensemble en DVD sous le titre « La Trilogie des Balkans »)

Jean-Michel Frodon

Journaliste, Critique de cinéma et professeur associé à Sciences Po

Notes

[1] Deux longs métrages de Godard sont directement inspirés des guerres en ex-Yougoslavie, Forever Mozart et Notre musique, à quoi s’ajoutent plusieurs versions successives d’une réflexion sur la culture et l’Europe, titrées dans plusieurs cas Je vous salue Sarajevo, et Le Pond des soupirs dans le cadre du film collectif Les Ponts de Sarajevo. Chris Marker a réalisé trois films consacrés aux mêmes événements, Le 20 heures dans les camps, Casque bleu et Un maire au Kosovo (édités ensemble en DVD sous le titre « La Trilogie des Balkans »)