Tulipes de Toussaint
1.
Coupées, à demi plongées dans le vase où dimanche dernier je les avais placées, trempant au fond dans un tout petit peu d’eau (deux doigts), le cou très long et tout tordu de leurs tiges passant par-dessus les parois du récipient auxquelles on dirait qu’elles s’appuient ; à peine, pourtant, elles en effleurent les bords, partant toutes droites vers le haut (pour les unes) ou bien (pour les autres) se recourbant, fléchissant sur elles-mêmes comme si elles ne parvenaient plus à supporter leur propre poids, avec au bout (de la tige), tranchée, leur tête trop lourde et tombant déjà vers le bas, là où quelques pétales ont plu sur la table et, encore en-dessous, un peu plus bas, sur la surface du tapis qu’il pollue et que le pollen tache un peu.
Sylvia Plath dit d’elles, dans l’un de ses poèmes, qu’il faudrait les mettre en cage comme des animaux sauvages. Ce serait certainement plus prudent. Car, à s’en décrocher les mâchoires, elles s’ouvrent comme le font les gueules des grands félins d’Afrique. Sans muselière qu’on puisse leur mettre afin de les empêcher de mordre. Ou de bâillon à leur passer pour étouffer les rugissements qu’elles poussent. Elles se désaltèrent quand le soir tombe. Assoupies et semblables aux fauves repus dont leurs robes tigrées prennent parfois l’apparence. Tendant paresseusement leur cou vers le lointain que, de leur œil vide, elles ne perçoivent pas. Carnivores, croirait-on, comme le sont, dit-on, certaines plantes exotiques. Attendant leur prochaine proie, peut-être. Tandis qu’autour d’elles tourne lentement tout le manège du monde, bêtes attirées là par la soif, la ménagerie faisant cercle autour du plan d’eau presque sec sur lequel décline déjà la lumière du soleil et au bord duquel, dans la boue, se calcinent, abandonnés, les os de quelques carcasses auxquelles sous le ciel s’accroche encore un restant de chair.
Ce sont les premières de l’année. Inhabituellement précoces. Il a fait si doux. On les attendait pour Noël. Elles sont arrivées à