écologie

Transition écologique, justice sociale et démocratie

Philosophe

Le changement climatique est à la fois la cause du renforcement des inégalités sociales et environnementales, et l’effet de ces inégalités et de leur échelle. Ne pas engager la transition écologique revient à maintenir et aggraver une injustice dont souffrent les plus défavorisés.

«C’est la première fois qu’il devient clair pour tout le monde qu’il y a un lien direct entre transition écologique et justice sociale » écrivait Bruno Latour, dans un article d’AOC[1], à propos de la situation créée par les gilets jaunes, en janvier 2019.

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Il s’inscrivait ainsi en faux contre l’idée opposée, largement répandue, selon laquelle la protestation sociale des gilets jaunes prouve l’incompatibilité entre écologie et économie, entre « fin du monde et fins du mois ». C’est une idée qui a la vie dure : il semble, pour beaucoup, aller de soi que les sacrifices imposés par les politiques publiques de transition écologique provoqueront des révoltes sociales. Aussi est-ce au nom de la justice sociale que certains en viennent à demander une pause dans la transition écologique, ou une réduction de ses ambitions.

Faut-il vraiment choisir entre transition écologique et justice sociale ? La démonstration de Bruno Latour peut être éclairante : ce n’est qu’au regard d’une conception fortement contestable de la transition écologique que, bien loin de voir le lien entre l’écologique et le social, on met en avant leur opposition.

Les inégalités environnementales

Arguer des droits des plus défavorisés à voir leur mode de vie progresser pour ralentir ou limiter les mesures de lutte contre le dérèglement climatique, c’est oublier, comme le font remarquer Alain Grandjean, Claude Henry et Jean Jouzel dans un article paru dans Le Monde que les plus défavorisés sont les premières victimes de ce dérèglement. Nul n’échappe aux effets du dérèglement climatique et des autres composantes de la crise environnementale (érosion accélérée de la biodiversité, pollutions, épuisement des ressources minières mais aussi hydrologiques….) mais certains, les plus défavorisés et les plus vulnérables, en souffrent beaucoup plus que d’autres et de façon disproportionnée[3].

Que le dérèglement climatique mette en péril l’habitabilité de la Terre, pour les humains, comme pour l’ensemble des


[1] A0C, le 14 janvier 2019.

[2] Le Monde, le 03 octobre 2023.

[3] Catherine Larrère (dir.), Les inégalités environnementales, PUF, 2017.

[4] Voir Paul Magnette, La vie large. Manifeste écosocialiste, La Découverte, 2022, chapitre 3, « L’Écologie des opprimés », p. 59-84.

[5] Bruno Villalba, « Planification écologique : le cadrage restrictif tragique du Président Macron », AOC, 28 septembre 2023.

[6] Alain Grandjean, Claude Henry et Jean Jouzel, tribune citée.

[7] Dans Fin du monde et petits fours (Paris, La Découverte, 2023) Edouard Morena montre comment une partie des ultra-riches s’est ralliée à la cause climatique et à la transition énergétique, au vu des profits qu’ils pouvaient en retirer, mais sans se soucier en aucune façon de justice sociale.

[8] Le Monde, 28 juillet 2023.

[9] Pierre Mendès France, Financer la reconstruction de la France. Problèmes économiques et financiers que pose la politique des investissements et de la reconstruction en France, présentation d’Alain Chatriot, Comité pour l’histoire économique et financière de la France et l’Institut de la gestion publique et du développement économique, 2023. Voir Antoine Reverchon, Le Monde, 19 octobre 2023.

[10] Le Monde, 28 février 2020.

[11] Voir également Jean-Baptiste Fressoz, «L’anthropocène est un « accumulocène » » (Regards croisés sur l’économie, n° 26, Urgence écologique : l’économie en transition, La Découverte, 2020, p. 31-40.)

[12] Dans une tribune au Monde du 22 février 2022, Michel Badré et Alain Grandjean, revenant sur l’annonce, par le président de la République, d’une relance du programme nucléaire français, avec constructions de nouveaux réacteurs, rappellent que cette relance, pour être effective, nécessite une loi votée par le Parlement, et en appellent à un débat ouvert sur la politique énergétique.

[13] « A rising tide lifts all the boats », cité par Marie Duru-Bellat, Pour une planète équitable, Le Seuil, 2014, p. 28.

[14] Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politi

Catherine Larrère

Philosophe, Professeur émérite à l'université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, Spécialiste de philosophie morale et politique.

Notes

[1] A0C, le 14 janvier 2019.

[2] Le Monde, le 03 octobre 2023.

[3] Catherine Larrère (dir.), Les inégalités environnementales, PUF, 2017.

[4] Voir Paul Magnette, La vie large. Manifeste écosocialiste, La Découverte, 2022, chapitre 3, « L’Écologie des opprimés », p. 59-84.

[5] Bruno Villalba, « Planification écologique : le cadrage restrictif tragique du Président Macron », AOC, 28 septembre 2023.

[6] Alain Grandjean, Claude Henry et Jean Jouzel, tribune citée.

[7] Dans Fin du monde et petits fours (Paris, La Découverte, 2023) Edouard Morena montre comment une partie des ultra-riches s’est ralliée à la cause climatique et à la transition énergétique, au vu des profits qu’ils pouvaient en retirer, mais sans se soucier en aucune façon de justice sociale.

[8] Le Monde, 28 juillet 2023.

[9] Pierre Mendès France, Financer la reconstruction de la France. Problèmes économiques et financiers que pose la politique des investissements et de la reconstruction en France, présentation d’Alain Chatriot, Comité pour l’histoire économique et financière de la France et l’Institut de la gestion publique et du développement économique, 2023. Voir Antoine Reverchon, Le Monde, 19 octobre 2023.

[10] Le Monde, 28 février 2020.

[11] Voir également Jean-Baptiste Fressoz, «L’anthropocène est un « accumulocène » » (Regards croisés sur l’économie, n° 26, Urgence écologique : l’économie en transition, La Découverte, 2020, p. 31-40.)

[12] Dans une tribune au Monde du 22 février 2022, Michel Badré et Alain Grandjean, revenant sur l’annonce, par le président de la République, d’une relance du programme nucléaire français, avec constructions de nouveaux réacteurs, rappellent que cette relance, pour être effective, nécessite une loi votée par le Parlement, et en appellent à un débat ouvert sur la politique énergétique.

[13] « A rising tide lifts all the boats », cité par Marie Duru-Bellat, Pour une planète équitable, Le Seuil, 2014, p. 28.

[14] Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politi