Le royaume enchanté
BOBINE #1
C’est Harley Mann qui parle. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Les mots me sont tombés de la bouche. Faut croire que je ne suis pas habitué à ce mode de communication. Je m’enregistre sur un Grundig TK46 flambant neuf que j’ai acheté hier quand je suis allé à Orlando en voiture depuis chez moi, ici à St. Cloud, pour assister à l’ouverture officielle du parc de loisirs gigantesque de Walt Disney, car c’est ce qui m’a poussé à raconter enfin tout ce dont je me souviens de certains événements que j’ai vécus et vus lors de mon enfance et de ma jeunesse dans cette région au sud d’Orlando et à l’ouest du lac Okeechobee – vaste zone de lacs, de marais, de ruisseaux, de savane à marisques, de forêts de pins, de chênes de Virginie et de palmettos ; zone qui, jadis, alimentait en eau les Everglades.
Telle est ma déclaration d’intention. Je vais sans doute parler aussi de bien d’autres choses. En tout cas, cette foutue histoire, au lieu de l’écrire j’ai décidé de la dire et de la coller dans un enregistreur parce que je suis quelqu’un qui sait parler, pas écrire. Tout le monde dit ça de moi, parfois avec admiration, parfois pas vraiment, même s’ils sont tous d’accord pour trouver que mes lettres, mes cartes postales et mes notes personnelles, et même ma correspondance commerciale, sont très expressives et descriptives. Simplement, elles sont moins intéressantes que mes paroles. Sans doute parce que quand je parle je ne sais presque jamais ce qui va venir, tandis que quand j’écris, comme c’est presque toujours pour des affaires commerciales, je le sais.
Quand j’aurai terminé, il y aura tout un paquet de bandes magnétiques. Peut-être celui qui héritera de ma maison et du reste de mes affaires personnelles voudra-t-il un jour les transcrire. J’ai un testament rédigé et fait sous serment, je sais donc qui se retrouvera avec mon argent. Mais je n’ai aucune idée de qui se retrouvera avec les bandes. J’espère que celui ou celle qui les aura en fera une transcription fi