Roman (extrait)

Irene

Écrivain

« Constance de l’amour au-delà de la mort. » Irene, dont le mari tant aimé vient de mourir, part sur les routes et ouvre son corps comme son existence tout entière à une liberté nouvelle. Non qu’il s’agisse d’oublier ; au contraire, l’audace et l’érotisme ressuscitent le fantôme de Marcelo. Après le très remarqué Ordesa, on retrouve Manuel Vilas avec ce drame empreint de cinéma qui lui a valu le Premio Nadal espagnol. Traduit par Isabelle Gugnon, et à découvrir à la rentrée aux Éditions du sous-sol.

Nous ne savions pas grand-chose sur la vie des anges. Nous pensions qu’il s’agissait de créatures inventées, mais ce n’est pas le cas. Les anges existent, peut-être discrètement. Ce sont des hommes et des femmes qui traversent notre monde sans d’autres objectifs que l’amour.

Ils sont porteurs d’espoir, certes.

Mais aussi mortels et ordinaires.

D’une banalité exceptionnelle.

L’existence des anges est une grande nouvelle.

Ils confèrent de la beauté à cette planète.

L’un deux s’appelle Irene, et son histoire débute à la page suivante.

 

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L’AMOUREUSE DU VENT

 

Elle contemplait un nouveau visage de la vie : un front, des lèvres, des pommettes et des yeux neufs sous un soleil radieux qui illuminait tout.

Elle se sentait pareille à un arbre, grand, qui après un ouragan se découvre de nouvelles racines, grandes, fortes et cachées, une robustesse qui vient juste d’apparaître. Elle a toujours été là, dans l’attente d’être mobilisée.

Bien qu’étant seule toute la semaine, Irene ne s’était jamais sentie aussi enthousiaste que ces derniers jours. Elle venait d’avoir cinquante ans, avait signé un pacte très favorable avec son corps et entrevu au fond de son cœur une frontière inexplorée, un autre pays où voyager avec autant de ferveur que de rage.

De la rage, oui. Une rage ronde comme la lune.

À la mort de son mari, elle avait vendu son magasin de meubles, la grande entreprise à laquelle il s’était consacré, et avait décidé de se reposer. Elle avait proposé des conditions avantageuses à ses employés et s’était retrouvée avec une somme confortable sur son compte en banque. Marce lui avait confié cette tâche : que nos salariés soient heureux, ce sont nos frères, notre famille.

Il s’exprimait ainsi, dans un langage étrange, et qualifier ses employés de frères était une de ses singularités, sa manière d’appréhender le monde, son bonheur passant par sa transformation et son embellissement.

Irene possédait désormais deux appartements à Madrid : un de soixante mètres carrés au centre de


Manuel Vilas

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