Nouvelle

Volcan

Écrivain

La villa du comte et de la comtesse Manfredi fait face au Stromboli. Le buffet, somptueux, est dressé. Les convives, de choix, se pressent. Ils sont venus pour assister à ce qui s’annonce comme une sublime performance, plus exceptionnelle encore que l’éruption de 1930. La terrasse surplombe la mer, ouvre vers l’horizon. Un horizon bientôt voilé par les cendres. Une fin en beauté, certes, mais une fin du monde toutefois. Effondrement, collapsus, melancolia… Un certain sentiment d’impunité n’en reste pas indemne.

Les Manfredi avaient bien fait les choses. Tout avait été parfaitement organisé pour cette réception qu’on eût dit préparée comme une performance. Triés sur le volet, tous avions été conviés à assister à l’éruption annoncée – la plus importante disait-on depuis l’explosion mythique du 11 septembre 1930. J’étais arrivé seul, vers treize heures, sur cette terrasse intemporelle nichée en plein ciel qui faisait face au Stromboli. Sans vraiment attendre qu’un être providentiel vînt engager la conversation, nonchalamment accoudé au parapet qui donnait sur l’étendue irisée de la mer Tyrrhénienne, j’observai avec intérêt l’apparition de chaque nouvel arrivant, lequel rivalisait d’exclamations dithyrambiques avec le précédent à propos de la vue somptueuse qui s’ouvrait à lui. En moins d’une heure, constituée de vagues connaissances mais surtout d’inconnus, l’assemblée atteignit la centaine d’invités. De l’intérieur, imbibant tout l’oxygène, s’éleva l’air du Faust de Gounod interprété par Valérie Masterson, suivi par un passage de La Bohême, par Maria Callas. À l’extérieur, servi depuis le matin sous quatre dais à rayures blanches et grises, un somptueux buffet attendait un signal discret de la comtesse Manfredi.

Se déplaçant d’une extrémité de la terrasse à l’autre, cette foule hétéroclite se présentait, se saluait, se congratulait. Pourtant, le véritable centre d’intérêt, point de fuite subliminal de toute cette activité, était l’horizon ; un horizon serein posé sur l’étendue d’eau argentée sur laquelle pointait une masse de terre bombée, un sein de femme d’où, selon les scientifiques, devait jaillir un lait de feu dans les heures à venir. Après que le café fut servi, certains des convives s’affalèrent dans de grands fauteuils d’osier pour deviser sur la situation internationale, d’autres préférant prendre l’ombre dans les jardins d’hiver et leur enfilade de salons. À proximité des derniers hôtes restés bavarder près des tables, d’autres, munis de jumelles, scrutaient le la


Stéphan Lévy-Kuentz

Écrivain, Scénariste

Rayonnages

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