Lanzmann ou comment filmer l’inmontrable
De Shoah (1985) à Quatre sœurs (2018), l’apport de l’œuvre cinématographique de Claude Lanzmann, essentiel pour de nombreuses disciplines, l’est assurément pour nombre de praticiens de la psychanalyse. C’est de son impact considérable que cet article veut témoigner, et de l’enseignement qui en découle.
Comme chacun sait, Shoah fut en premier lieu l’irruption d’un nom nouveau qui s’est imposé dans le langage courant. Annonçant une écriture cinématographique inédite par ses modalités et son souci de l’éthique, ce titre a nommé de façon neuve et absolument nécessaire ce qui s’est passé dans les camps nazis. On pourrait le dire ainsi : issu du texte de la Bible (du prophète Sophonia notamment), le nom Shoah a remplacé en l’inversant l’expression nazie « Solution finale de la question juive » (qui privait les victimes de nom avant même de les « liquider »), se substituant au terme d’holocauste utilisé jusqu’alors. Quelles qu’aient été ses vertus cicatricielles, ce terme sacrificiel faussait la perspective en induisant du lien à un martyrologe juif. Aucune victime, aucun survivant ne s’est sacrifié, n’a été sacrifié ; aucun juif n’a été tué parce qu’il était juif, sinon du seul point de vue des assassins, et c’est eux et uniquement eux qui ont à répondre de cette assertion en soi criminelle.
Les juifs sont morts parce qu’ils ont été tués, en masse, et le nom de Shoah est venu désigner en même temps l’effectuation des crimes jusque dans leur organisation bureaucratique et la contemporanéité de la mort de chacune des victimes, femmes, enfants, hommes assassinés dans la chambre à gaz et dans les tueries par balles. Les extrayant une par une du monde des tueurs, le film leur donne ce nom pour toujours : « Et je leur donnerai un nom impérissable », annonce l’exergue du film emprunté au prophète Isaïe.
L’art de Lanzmann est de provoquer un écart qui amène le spectateur à un suspens actif de la pensée face au réel produit par les criminels.
Du point de vue de nombreux