L’idéal type d’une époque – sur L’homme aux mille visages de Sonia Kronlund
«Les hommes que j’ai aimés étaient souvent malhonnêtes, menteurs, manipulateurs », affirme Sonia Kronlund dans les premières pages de son livre L’homme aux mille visages.

« Cette étrange attirance m’a suivie dans mon travail. Je me suis beaucoup intéressée aux baratineurs, bonimenteurs et autres charlatans. Ça me désespère mais ça doit être mon genre » affirme-t-elle dans une sorte de prologue ou d’incipit en forme de justification.
Sonia Kronlund l’avoue d’emblée : elle s’est laissé fasciner par cet « homme aux mille visages » qui séduisait des femmes sous de multiples identités au point de lui consacrer cinq années de sa vie. Au cours de cette enquête fleuve menée avec la complicité des victimes, elle ne se situe pas en surplomb de ce mystificateur patenté, encore moins de ses victimes dupées par leur désir, elle est partie prenante de la comédie humaine qui enchaine le menteur à ses victimes et vice versa. Il s’agit moins pour Sonia Kronlund de dénoncer ou de juger les mensonges de ce séducteur pathétique que de mettre à nu les ressorts de son emprise sur ses victimes ; l’étourdissante machine à fictions qui produit en temps réel les scénarios et les décors, les costumes et les alibis de ses fictions amoureuses…
Il s’appelle Daniel, Alexander, Ricardo, Jeremias, Carlos, Antonio. Il est chirurgien au soir de l’attentat du Bataclan, pilote de ligne, photographe de guerre, ingénieur chez Peugeot, militaire à Gaza, flic de série B, une imposture qui le contraint à l’exil pour éviter la prison.
Au Brésil où commence son épopée pseudo, il a ouvert une franchise de cosmétiques avec Bruna, sa copine trans qui semble sortie d’un film d’Almodovar, « immense blonde pulpeuse moulée dans un tailleur pantalon rose fushia, battant de ses faux cils en mordillant gracieusement ses lèvres trop rebondies… » Elle se dit « professionnelle de beauté », « coiffant, maquillant et parant de mille feux les femmes de la bonne société pour les mariages, les fêtes et le carnaval. »