Littérature

Le mouton dans le tapis – sur Portraits de femmes de Natacha Michel

Anthropologue

Traversé par le souvenir et la fiction, le nouveau roman de Natacha Michel prend la forme d’une galerie où les femmes, évoquées à travers le prisme de la narratrice, sont immortalisées non pour ce qu’elles sont, mais pour l’écho qu’elles laissent.

En lisant Portraits de femmes, une image s’est longtemps imposée à moi : c’est celle du Cabinet des Clouet au musée Condé de Chantilly. Y sont exposés de très nombreux portraits, 90 je crois, peints, pour l’essentiel, par Jean et François Clouet.

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Ce qui saisit le regard lorsque l’on entre dans ce cabinet, c’est que chacun des murs est entièrement recouvert d’un peuple de visages : une multitude de petits portraits à la fois succincts et essentiels, telle une nuée de photomatons sortis tout droit de la Renaissance, une citadelle de regards désormais inoffensifs.

Entre chacun d’eux (le cardinal de Bourbon, Catherine de Médicis, Henri duc d’Anjou), ce qu’il faut d’espace pour les laisser respirer, leur rendre leur regard, les détacher un à un de l’ensemble, et ainsi, accéder au détail de leur beauté. Un peu, en somme, comme pour une photo de classe. Ici, Henri IV et son cheval n’ont besoin que de 27 cm pour se tenir droit quand, par comparaison, il faut un peu plus de 2 mètres à Velasquez pour faire entrer l’infant Don Carlos, sans son cheval, dans le cadre.

D’une salle de portraits de la Renaissance à Portraits de femmes, il n’y a pas qu’un mot en forme de passerelle. Il y a d’abord peut-être, guide inconscient, l’amour invariable de Natacha Michel pour la peinture, ce réservoir d’images que son art transforme, non pas en trésor de guerre, mais en trésor de prose, en trésor en prose. Cependant, si les 24 portraits de femmes de ce roman multiple m’évoquent ce cabinet de peintures, c’est que j’y retrouve les effets de la juxtaposition, de cette multitude raisonnable qui ordonne l’égalité et révèle la singularité de chacun d’eux.

J’y retrouve l’expression de vérités rapides que rend possible le caractère circonscrit, limité, parfois bref, de chacun des portraits ; 24 fois la vérité par roman. J’y retrouve une magnificence sans tapage, une saisie des personnages par la surface et non par l’étoffe, ou les atours, complexes, de la psyché. J’y retrouve enfin le ref


[1] Dans le liminaire de Portraits de femmes, Natacha Michel écrit : « Alors, pourquoi une anamnèse ? Pourquoi reparcourir sa vie ? Parce que c’est impossible. Tout a disparu, ne reste qu’un tas de cendres dont il faudrait être le feu. La lumière qui est en soi est une lumière brûlante. Pour faire sortir les images de leur grotte, il faut, tel Ulysse échappant au Cyclope, le mouton d’une fiction. La fiction déplace les souvenirs, elle ne les laisse pas intacts, elle les travaille au corps, c’est un pugilat où quelqu’un est vaincu, quelqu’un victorieux. »

Catherine Hass

Anthropologue, Chercheuse associée au LIER-FYT (EHESS) et chargée de cours à Sciences po Paris

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Notes

[1] Dans le liminaire de Portraits de femmes, Natacha Michel écrit : « Alors, pourquoi une anamnèse ? Pourquoi reparcourir sa vie ? Parce que c’est impossible. Tout a disparu, ne reste qu’un tas de cendres dont il faudrait être le feu. La lumière qui est en soi est une lumière brûlante. Pour faire sortir les images de leur grotte, il faut, tel Ulysse échappant au Cyclope, le mouton d’une fiction. La fiction déplace les souvenirs, elle ne les laisse pas intacts, elle les travaille au corps, c’est un pugilat où quelqu’un est vaincu, quelqu’un victorieux. »