Société

Ce que la recherche-création fait aux thèses universitaires

Professeur de littérature et médias

L’union de la rigueur scientifique et de la créativité artistique peut générer des connaissances inédites, remettant en question les paradigmes conventionnels et ouvrant la voie à l’exploration de phénomènes complexes, particulièrement pertinents dans le contexte actuel.

Nos pratiques de critique culturelle ont l’habitude de commenter la sortie d’un nouveau film, la première d’un nouveau spectacle ou la réception d’un nouveau roman. Elles ne portent jamais sur la soutenance d’une thèse universitaire. Ces soutenances sont pourtant publiques. L’indifférence générale du monde culturel face à ce rituel universitaire – tant que le candidat n’est pas connu pour ses positions négationnistes – en dit long sur la coupure qui sépare la sphère médiatique de la vie académique, ainsi peut-être que sur l’hyperspécialisation sclérosée dont souffre cette dernière.

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La recherche-création : pratique émergente, pratique contestée

Que se passe-t-il pourtant derrière ces portes qui ne sont jamais vraiment closes ? Deux soutenances de thèses récentes permettent de mieux comprendre ce qui est en train de se jouer avec le développement de ce qu’il est désormais convenu d’appeler, en France, la « recherche-création ». Bien entendu, la pratique de croiser arts et sciences ne date pas d’hier : sans même remonter jusqu’à l’époque de Léonard de Vinci, qui était antérieure à leur séparation moderne, le XXe siècle a vu de nombreuses formes d’alliages plus ou moins conjoncturels se composer et se recomposer entre eux, comme l’a bien étudié Sandra Delacourt dans un livre sur l’artiste-chercheur, doublé d’un article dans ces colonnes.

Depuis le Centre universitaire expérimental de Vincennes, qui invitait dès 1969 des artistes à collaborer avec des chercheurs au sein de Paris 8, l’institutionnalisation de la recherche-création est passée par le Québec où, à partir des années 1990, les universités accueillent en leur sein des départements d’art dont les établissements indépendants sont alors supprimés[1]. Depuis une quinzaine d’années, quelques programmes français, en nombre encore assez limité, accueillent et financent des thèses de recherche-création en leur sein[2].

Dans ses offres de financement, le Fonds de Recherche du Québec (Société et Culture) précis


[1] Pour une présentation très utile et très concise de cette évolution canadienne, voir les travaux de Louis-Claude Paquin et Cynthia Noury en 2018 et 2020. Pour des analyses plus poussées, voir Erin Manning & Brian Massumi, Pensée en acte. Vingt propositions pour la recherche-création, Presses du réel, 2018, ainsi que Pierre-Damien Huyghe, Contre-temps. De la recherche et de ses enjeux. Arts, architecture, design, B42, 2017.

[2] C’est le cas du programme SACRe, de l’Ecole Universitaire de Recherche ArTeC, des universités de Paris Sorbonne, Cergy, Strasbourg, Lyon, Grenoble Alpes, Aix-Marseille, Limoges, entre autres. L’auteur de cet article précise qu’il a eu pour responsabilité administrative la direction exécutive de l’EUR ArTeC de 2018 à 2021, et que c’est sur la base de sa participation à de nombreux jury de thèses en recherche-création qu’il a rédigé cette contribution à un débat en cours.

[3] Fonds de Recherche du Québec Société et Culture, Bourse postdoctorale en recherche-création (B5), FRQSC, 2024-2025.

[4] Voir par exemple Pierre Alferi, Dominique Figarella, Catherine Perret, Paul Sztulman, « Que cherchons-nous ? », Hermès, La Revue, n° 72, 2015, p. 41-48.

[5] Boris Le Roy est l’auteur de plusieurs récits parus chez Actes Sud, L’éducation occidentale (2019), Du sexe (2014), Au moindre geste (2012).

[6] Fondateur de la compagnie financière ITO33, Elie Ayache est aussi un écrivain, philosophe, théoricien de la littérature et de la finance, en particulier dans deux livres importants, The Blank Swan. The End of Probability (Wiley, 2010) et The Medium of Contingency. An Inverse View of the Market (Londres 2015).

Yves Citton

Professeur de littérature et médias, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Co-directeur de la revue Multitudes

Notes

[1] Pour une présentation très utile et très concise de cette évolution canadienne, voir les travaux de Louis-Claude Paquin et Cynthia Noury en 2018 et 2020. Pour des analyses plus poussées, voir Erin Manning & Brian Massumi, Pensée en acte. Vingt propositions pour la recherche-création, Presses du réel, 2018, ainsi que Pierre-Damien Huyghe, Contre-temps. De la recherche et de ses enjeux. Arts, architecture, design, B42, 2017.

[2] C’est le cas du programme SACRe, de l’Ecole Universitaire de Recherche ArTeC, des universités de Paris Sorbonne, Cergy, Strasbourg, Lyon, Grenoble Alpes, Aix-Marseille, Limoges, entre autres. L’auteur de cet article précise qu’il a eu pour responsabilité administrative la direction exécutive de l’EUR ArTeC de 2018 à 2021, et que c’est sur la base de sa participation à de nombreux jury de thèses en recherche-création qu’il a rédigé cette contribution à un débat en cours.

[3] Fonds de Recherche du Québec Société et Culture, Bourse postdoctorale en recherche-création (B5), FRQSC, 2024-2025.

[4] Voir par exemple Pierre Alferi, Dominique Figarella, Catherine Perret, Paul Sztulman, « Que cherchons-nous ? », Hermès, La Revue, n° 72, 2015, p. 41-48.

[5] Boris Le Roy est l’auteur de plusieurs récits parus chez Actes Sud, L’éducation occidentale (2019), Du sexe (2014), Au moindre geste (2012).

[6] Fondateur de la compagnie financière ITO33, Elie Ayache est aussi un écrivain, philosophe, théoricien de la littérature et de la finance, en particulier dans deux livres importants, The Blank Swan. The End of Probability (Wiley, 2010) et The Medium of Contingency. An Inverse View of the Market (Londres 2015).